On peut dire ce qu'on veut de Borgès, en tout cas c'est un gars honnête. Car rien ne l'obligeait à ressortir de l'ombre (via sa merveilleuse collection de littérature fantastique La Bibliothèque de Babel) Papini, cet auteur italien jadis célèbre mais marqué d'opprobre après ses accointances musoliniennes. Honnête ou facétieux, car on se demanderait presque si tout ça n'est pas un énorme canular, un conte-happening en quelque sorte, tant les nouvelles de Papini pourraient avoir été inventées par l'Argentin.

A moins que ce ne soit l'inverse ? On s'y perd… Doubles qui se rencontrent, suicides mentaux, mémoire et oubli, futur itératif, effectivement tout y est, et Borgès écrit d'ailleurs une belle préface pour nous prévenir de cet étrange mélange entre lui et l'Italien : il n'y a pas que dans les histoires que les nappes temporelles se mélangent, lui-même sans le savoir a dû incorporer enfant les fantasmes de Papini, qui ont coloré de leurs reflets tristes et envoutants les contes qu'il écrirait trente ans après.

Cela dit, la bonne nouvelle c'est qu'on peut même lire Papini pour lui ! Car ses petites histoires ont un goût étrange, jonglant entre la dérision, l'humour noir et la mélancolie. On dirait des fragments de rêve un peu. Ou un tableau belge. Rien de solaire, rien de triomphant, nous ne sommes pas chez D'Annunzio : c'est brumeux, c'est délicatement angoissant, on sent qu'ici l'on devient fou ou l'on meurt, sans heurts, sotto voce. Pour ne pas avoir compris un détail absurde et important : l'inanité du temps.
Chaiev
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le 12 déc. 2012

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