Chacun ses genres de prédilection : il y en a qui ne résistent pas à l’appel du polar ou du roman d’aventures ; moi, mon péché mignon, ce sont les romans avec des linguistes. S’ils sont un peu poissards sur les bords, c’est encore mieux : dans mon panthéon personnel, la trilogie du linguiste de David Carkeet et Epépé de Ferenc Karinthy sont placés très haut. Impossible donc de résister au pitch du premier roman de Laurent Nunez dont les deux héros, sortes de Bouvard et Pécuchet des années 30, quittent leur petit monde sorbonnard pour tenter de trouver une idée nouvelle, révolutionnaire, sur la langue.
Retirés dans un petit village de la vallée de la Roya, Étienne Choulier et Stefán Meinhof - ce sont leurs noms - activent le mode avion, comme on dirait aujourd’hui : sans aucune communication avec l’extérieur si ce n’est, de temps en temps, une visite au café du village, ils laissent les idées venir à eux. Sauf que la recherche n’est pas forcément une activité très facile à pratiquer en tandem, et que leur indifférence aux circonstances extérieures va les faire passer à côté d’événements pourtant déterminants dans la marche du monde - jusqu’à ce que celui-ci se signale à eux.
Laurent Nunez travaille une écriture ponctuée de délicatesses légèrement surannées pour épouser le mouvement de la pensée de ses deux héros, qui s’annoncent d’abord comme des silhouettes quelque peu lunaires avant de prendre de l’épaisseur, se montrant au fil des pages tour à tour touchants, puérils, brillants et agaçants. Des linguistes comme je les aime, un peu rêveurs et un peu losers, qui cultivent malgré leurs démons une forme de douce loufoquerie.