Ni plus, ni moins.
Une oeuvre puissante, prodigieuse d'imagination au coeur d'un contexte historique particulier ! Nous sommes en 1796 et Matthew G. Lewis a 21 ans.
Composé en dix semaines seulement, l'oeuvre visite tour à tour les abominations de la morale de la chrétienté et son jusqu'au boutisme, la violence de l'inceste, le viol, la tentation, et l'envie de mettre à bas Dieu lui-même, en substituant le Divin au profit de l'homme, du moine qui, s'il se veut parfait dans son rôle biblique, n'en reste pas moins soumis à ses pulsions, à ses tentations grandissantes et dévorantes.
Le style de Lewis est d'époque, quoiqu'un peu moins alambiqué que le Melmoth de Charles Maturin, qui lui succèdera. Le moine ouvre la voie au pacte avec le démon, pose les jalons de ce que deviendront les John Melmoth, Dracula et autre Dorian Gray, en un mot, c'est la fondation même de la séduction et de l'emprise du démon sur l'homme. Saluons donc ici son rôle fondateur de l'écriture gothique. Il n'est rien de moins que sa pierre fondatrice, blanche et angulaire. Le ciment de ce que deviendront ses successeurs, exception faite du succulent Frankenstein pour lequel le style épistolaire promet une beauté différente.
Cependant, cantonner l'oeuvre à ce simple exercice narratif serait drastiquement la réduire. La noirceur de l'ambiance, le puritanisme espagnol confronté à son fanatisme religieux, puis sa violence, viennent subtilement nous faire comprendre ce que Lewis avait compris d'une société dictée par la volonté du pontificat et de son bras armé inquisitoire. La violence d'un peuple aussi oppressé que fanatisé par sa religion, ses codes sociaux et d'acceptation mettent en contraste la multiplicité des vices et des vertus.
Le style est impressionnant de simplicité et d'efficacité. Les descriptions sont épurées, suffisantes à poser l'ambiance, et à donner le ton, le lecteur et son imagination complètent le reste, ce qui reste un tour de maître, et le plus haut niveau d'achèvement d'un oeuvre, l'immersion n'en étant que plus totale et parfaite. L'imbrication de plusieurs récits indépendants dans l'oeuvre constitue un effort appréciable, aussi distrayant de l'oeuvre qui se voudrait (rarement) épuisante.Les personnages sont vrais, forts de caractère et bien trempées, tout en gardant chacun leurs rôles respectifs. Chacun d'entre eux apporte à l'oeuvre sa couleur pour former un ensemble homogène pétri de tous les éléments sus-cités.
Mettant en parallèle plusieurs situations, mêlant drames et promesse de bonheur, Lewis tient en haleine subtilement et intelligemment, en maintenant un rythme dynamique, et passant d'un arc narratif à un autre aux moments les plus opportuns...
Le Marquis de Sade ne s'est pas trompé en faisant trôner cet ouvrage parmi ses favoris.
Je recommande.