Le Monde des non-A est un monstre sacré de l'âge d'or de la SF, un classique qui trône fièrement dans toutes les bibliothèques amatrices du genre. Traduit par Boris Vian, il a fait découvrir ce genre littéraire à la France lors de sa sortie, a été un immense succès populaire et critique des deux côtés de l'atlantique.
Sur fond de complot galactique, Le Monde des non-A est une histoire illustrant un avenir où une part de l'humanité à su se défaire du mode de pensée aristotélicien, devenant "Non-A" (Non-artistotélicienne).
Cette doctrine développé dans les années 50 par Alfred Korzybski (contemporain de l'auteur qui a suivi ses conférences), quoiqu'ardue dans les détails, est simple dans son énoncé : il faut refuser le concept selon lequel notre observation des faits / choses / phénomènes est exacte, car notre sens de l'observation est tronqué de part nos limites physiologiques et acquis culturels. En l'appliquant à la science ou la déduction, il est nécessaire pour chaque étape d'un raisonnement de réduire chaque élément et/ou étape à sa plus simple forme pour limiter l'impact de "concepts" antérieurs pouvant induire en erreur.
L'idée est séduisante, le vocabulaire développé pour l'illustrer est clair, quoiqu'un brin soporifique. Le Monde des non-A est pourtant une grande déception pour ma part, tant les mécanismes narratifs sont datés.
Déjà, on sent que la publication s'est faite en mode "feuilleton" dans une revue (après vérification, c'est bien le cas). Les faux rebondissements s'enchaînent, parfois sans réelle logique, les révélations n'en sont pas, les enjeux restent flous, et ce jusqu'à la fin. D'un point de vue style, malgré une traduction signée Boris Vian, c'est plat, à croire que Van Vogt sortait d'un atelier d'écriture et appliquait les consignes à la lettre, sans imagination, sans fantaisie
Ensuite, le héros est creux. Incarnation de l'humain capable d'appréhender le monde en tant que "non-A", son propos est abrutissant, il manque de sentiments, d'âme, de "texture". Il n'est ni attachant, ni agaçant, juste fade. Ballotté d'un bout à l'autre du système solaire, il est passif dans sa propre aventure, ses gesticulations sont vaines et pour finir, énervantes.
Enfin, le scénario manque de clarté. L'univers, très mal présenté, limite le poids des enjeux. Le lecteur ne s'inquiète pas vraiment des dangers à venir, on ne lui fait miroiter que partiellement les conséquences. Attention, je ne dis pas que le scénario est incompréhensible, juste terne. La révélation finale vient tout de même titiller le lecteur, on serait presque tenté de se lancer dans une seconde lecture à l'aune de cette donnée. Puis on repense alors à ce qu'on a subi et on renonce.
Au final, Le Monde des non-A souffre énormément de la comparaison avec son rival de l'époque Fondation, écrit et publié dans des circonstances similaires. C'est un monument de la SF, oui. C'est une certitude. Il y a des monuments qui traversent les siècles et émeuvent les peuples à chaque génération. Et puis il y a les monuments qui indiffèrent, qui font partie du paysage et ne dégagent plus rien tant ils sont marqués du sceau de leur époque. Le Monde des non-A est clairement à ranger dans la seconde catégorie.