On (re)lira avec profit ce grand roman du XXe siècle, trop peu connu (en France en tout cas), dont la richesse se déploie comme un arc au-dessus du temps qui s'est écoulé depuis sa publication en 1958. Récit d'un engloutissement, d'une invasion implacable (mais pas pour les raisons les plus évidentes que l'on se représente si souvent quand on évoque le colonialisme), Le monde s'effondre regarde droit dans les yeux chacune des civilisations qui entrent en collision au fil de ses pages. La légèreté du verbe d'Achebe n'a d'égale qu'un sous-texte ravageur, éminemment radical dans les logiques qu'il met à nu et la conclusion qu'il dresse in fine. La structure narrative du roman est à cet égard d'une subtilité remarquable: en ce qu'elle décrit avec fluidité une société pittoresque pour, progressivement, de manière concentrique, donner à voir l'inéluctabilité de son devenir suite au cataclysme que constitue la venue des Blancs. Sans manichéisme, ni angélisme, faisant preuve d'un détachement objectif dont l'évidence naturelle laisse étourdi, Achebe tire les fils de son récit avec maîtrise. Brutale, sans concession, riche en réflexion, l’œuvre libère tout son suc longtemps après sa lecture. Elle fournit matière à développer un œil critique sur le colonialisme selon un angle trop peu emprunté dans les débats actuels et reste encore, des décennies après sa publication, d'une étonnante actualité dans son propos ainsi que dans les questions qu'elle soulève incidemment. De la véritable littérature éclairante.