Retour de lecture sur “Le monde selon Garp”, un roman culte et best-seller des années 80 de l’auteur américain John Irving, publié en 1978 et pour lequel il remporta le National Book Awards, une des distinctions littéraires les plus prestigieuses des Etats-Unis. Ce livre raconte la vie de l’écrivain T.S. Garp, et commence en 1944, lorsque la mère de celui-ci, Jenny Field, se fait faire un enfant par un blessé de guerre qui meurt peu de temps après. L’important n’était pas pour elle la manière de concevoir l’enfant, mais avant tout d’en avoir un à elle, et à elle seule. Elle élève donc seule ce fils, Garp, qui est souvent mis à l’écart et considéré dans son entourage comme un bâtard, né hors mariage. A dix-huit ans, il tombe amoureux de la fille de son entraîneur de lutte, Helen, qui déclare qu'elle n'épousera qu'un écrivain. Garp fait alors preuve d'une grande imagination et se retrouve bien vite père de famille et auteur non publié. Sa mère, qui n’a de cesse de dénoncer un monde de concupiscence, a écrit ses mémoires et trouve un éditeur qui publie aussi la première œuvre de Garp. Le livre de Jenny Fields “sexuellement suspecte” devient rapidement un best-seller qui fait de son auteure un symbole du féminisme, bien malgré elle. Ce roman d'Irving est un livre très particulier, on aime ou n’aime pas, mais dans tous les cas il ne laisse pas indifférent. Un livre qui avant d’être lu, se ressent et se vit. Après une première partie qui met les choses en place, on se laisse facilement embarquer dans cette histoire loufoque, avec ses personnages attachants et hauts en couleurs. Le mélange du tragique et du burlesque n'est pas, d’une manière générale, ce que je préfère, que ce soit en littérature ou au cinéma, mais dans ce cas, avec cet auteur, le talent est là pour en faire un très grand livre et cela devient passionant. Certaines scènes, notamment la scène culte de l’accident, sont juste incroyables. J’ai été impressionné par l’immagination déployée et l'originalité de ce récit. L’histoire de cet homme qui baigne malgré lui dans un monde ultra féministe, avec tout ce que cela suppose d’excès et d’absurdités est touchante. Un livre d’une écriture étonnamment moderne, on n’a jamais l’impression de lire un livre écrit en 1978, que ce soit dans la manière dont toute cette histoire est racontée ou dans le choix des thématiques abordées. Le féminisme et le genre, qui sont des thématiques majeures abordées tout au long du livre, étant complètement d’actualité. Le livre montre tout l’avantage du roman par rapport au cinéma, puisqu’on ne subit pas ici la mode et le contexte visuel de l’époque, qui aurait fortement daté cette histoire et eu son impact négatif sur cette histoire, qui se passe pendant les années 70. On a là une peinture au vitriol d’une Amérique pleine d’outrances et de violences, qui ne sait pas vraiment se situer face aux questions sociétales. A travers cette parodie, Irving met en avant les contradictions et l’absurdité de cette société, il nous pousse à la réflexion sur des thématiques comme le féminisme, la différence ou plus généralement la tolérance, en nous posant par exemple la question, si c’est une bonne chose d’en avoir face à l'intolérance. Le mouvement des féministes extrémistes Ellen-jamesiennes omniprésent tout au long du roman est un des nombreux moyens utilisés par Irving pour nous décrire cette absurdité du monde actuel. C’est très bien écrit et très agréable à lire. Alors qu’il fait évoluer ses personnages dans une histoire très drôle et loufoque racontée avec beaucoup de tendresse mais également de cinisme, Irving utilise aussi des images très poétiques et touchantes. J’ai particulièrement aimé celle du “Crapaud du ressac “ qui est très troublante et nous renvoie à nos propres angoisses, souvent refoulées. L’auteur arrive très bien à nous immerger dans son univers et on peut se demander, à l’issue de cette lecture, si nous ne sommes pas tous, dans cette société schizophrénique, et à des degrés différents, des Garp. C’est un livre particulier dans lequel il est un peu difficile d'entrer, on ne sait pas trop où on va, mais quand on y est, on y reste. Il est très riche, nous apporte beaucoup d’émotions différentes et nous bouscule. Quand on le referme, on n'est plus tout à fait pareil. C’est donc clairement un livre à lire.
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“Dans un des premiers essais de Garp — qui date de sa première année à Steering —, on relève la notation suivante : "Les balles ne m'intéressent pas. La balle s'interpose entre le sportif et son sport. Il en est de même des palets de hockey sur place et des volants de badminton — et les patins, tout comme les skis, font obstacle entre son corps et la lutte en recourant à un appendice — par exemple une raquette, une batte ou une crosse, tout ce que le geste a de pureté, de force et de concentration est irrémédiablement gâché." Il n'avait que seize ans, mais déjà se devinait chez lui le sens d'un esthétisme tout personnel."