Tu sais, Richard, toi je t'aime d'un amour tendre et tranquille, comme on aime passer la main sur de l'herbe drue et un peu mouillée, comme on aime se reposer sous un gigantesque chêne en regardant les rayons du soleil essayer de percer le mystère des feuilles trop vertes, comme on aime boire un jus de fraise sucré juste ce qu'il faut, comme on aime écouter une musique un peu joyeuse mais un peu triste aussi.
Tu es de ceux, Richard, qui ont dû comprendre, un jour, que les enfants ne sont cruels que par excès de poésie, ne sont gentils que par excès d'imagination, ne sont insaisissables que par excès de confiance. Les enfants découvrent le monde avant de découvrir les mots, et leurs premières années se passent à essayer de voir comment faire coïncider la largeur des rêves avec l'étroitesse de la langue. Puis peu à peu ils oublient cette tache insensée. Toi pas.
Richard, n'écoute pas, regarde un instant ailleurs, fume tranquille pendant que les grillons chantent une chanson qu'on ne comprend pas, mais qui a l'air drôle, si drôle. Et moi je vais chuchoter en rythme pour noyer mes mots dans le froufrous de leur rengaine (il manquerait plus que tu te mettes à avoir des regrets... ) et t'insulter un bon coup, mon salaud, de nous avoir montré à quel point notre monde si pourri pouvait en même temps être si beau, avant de nous y planter là, tous seuls comme des cons !