Saviez-vous qu’il existait un Institut scandinave de vandalisme comparé ? Que le situationnisme, qui consiste à « appréhender la vie comme une œuvre d’art, c’est-à-dire à lui imprimer délibérément un ensemble de chocs lui conférant une qualité particulière », puise ses racines chez Lautréamont et dans le cycle du Graal ? Que l’entarteur Noël Godin est un post-situationniste, tout comme la littérature cyberpunk ou le régionalisme breton ? Dressant un panorama chronologique très large de l’histoire du mouvement “situ”, Marcolini nous ramène aux années 1950, époque où l’avant-garde lettriste se réunit autour d’Isidore Isou pour s’adonner aux expériences poétiques de la mégapneumie, et nous entraine jusqu’aux années 2000 et suivantes dans le sillage de diverses mouvances libertaires contemporaines.
Le courant initié par Guy Debord ne se limite pas à la critique du spectacle (aspect le plus connu de son œuvre) mais comprend d’autres versants tout aussi intéressants, comme celui de la psychogéographie, « étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus », ou tout ce qui concerne la « dérive », les détournements d’œuvres, l’urbanisme, les rapports à la Beat Generation ou au théâtre brechtien. « On trouve dans l’Internationale situationniste le projet proprement futuriste d’une mutation anthropologique, de l’avènement d’un homme nouveau produit par les conditions modernes d’existence : la désaffiliation, la vie métropolitaine, l’accoutumance au choc, au conditionnement et à la dépersonnalisation. »
Il est toutefois dommage que Marcolini se mêle de distribuer les bons et les mauvais points dans les appréciations portées par d’autres sur le mouvement : ainsi, si Guy Hocquenghem ou les groupes LGBT peuvent à bon droit rendre hommage à Debord, l’hommage devient tout à fait malvenu s’il apparaît sous la plume d’un De Benoist, d’un Douguine ou d’un Limonov… Mais le chapitre de conclusion vaut à lui seul la lecture car l’auteur, en dépit de sa sympathie pour le situationnisme, en développe une critique lucide, s’appuyant pour ce faire sur des penseurs comme Clouscard, Lasch ou Michéa. Ayant identifié ce que cette contre-culture pouvait avoir de commun avec la dialectique du capital (dialectique basée sur la révolution permanente de la production), il en appelle à un « conservatisme révolutionnaire » sur le mode orwellien comme seule forme de résistance possible à la logique libérale.