Allez, c’est l’été. Un bon moment pour laisser ses neurones en paix, se laisser bercer par le bruit des vagues et à 30 degrés sur la serviette de plage somnoler à moitié en feuilletant un livre à succès d’un auteur à la mode.
Le mystère Henri Pick, par exemple. Adapté au cinéma, avec Luchini (sûrement un super bouquin à la fois fin et enlevé) ; livre prêté par une amie bien intentionnée. Ça parle du monde de l’édition. « Toi qui écrit (mais est juste autoédité – NDA), tu vas te marrer. » Ah, euh… bon d’accord.
C’est fait, il est 11h. Marée basse. Le livre est ouvert après avoir m’être enduit de crème solaire indice 50. Ça commence par l’histoire d’un livre, puis on parle d’un bibliothécaire ; il meurt, son assistante poursuit sa mission en mémoire des auteurs non publiés qui (contrairement à l’auteur de cet ouvrage) ont ce charme si romantique d’avoir été rejetés du sérail éditorial. Puis arrive une éditrice. Débarque son futur amant qui a publié un chef d’œuvre, mais pas un succès d’édition.
…
Le temps passe. Je n’accroche pas.
…
« Eh ! salut ! Ça vous plait ? »
Nom de nom ! Voilà q’un type qui ressemble à Ramzy (barbichette, une masse de cheveux bouclés, traits un peu secs) avec des lunettes en plus, s’avance vers moi d’un pas déterminé. J’ai déjà vu ce visage dans Paris Match quand j’ai un peu de temps à perdre chez le coiffeur ou mon médecin. C’est lui : David Fœnkinos.
Il répète :
« Ça vous plait ? »
Quelle coïncidence. Lui ici, et moi qui lit son livre, vautré sur ma serviette bleue avec un dauphin idiot. C’est dingue !
« Oui, oui. C’est vraiment bien écrit. »
Que dire d’autre ? Il y a un peu de lâcheté et de politesse dans ma réponse. Il vient s’assoir dans le sable. Il donne l’impression d’avoir envie de parler de son livre.
« Vous n’êtes qu’au début ? Attendez, vous n’avez rien vu encore. On parle de Pivot, de Barbara, de Gracq, de Proust, de Houellebeck, de Beigbeder. Des Beatles, de Michel Berger, de Radio Nostalgie.»
« C’est un livre culturel alors ? »
« Ah, non ! pas du tout. C’est surtout très drôle. Le type qui se fait larguer par sa copine parce qu’il bigne sa voiture qu’il vient de lui emprunter. C’est assez cocasse, non ? »
« … »
« En fait, c’est un peu comme un vaudeville. Les liens entre les personnages se créent, se distendent, il s’aiment (il y a même des phrases coquines), ils se séparent. Ils se retrouvent. La vie, quoi. »
« … »
Là, je reste sans voix ; l’auteur en direct qui explique son travail, c’est quelque chose. Il y a tout l’amour qu’il porte à son œuvre, la somme des heures passées devant son ordinateur (je présuppose que l’auteur ne travaille pas sur une machine à écrire ou une feuille de papier). C’est impressionnant.
Avec la patience du sage devant son disciple un peu dépassé par les évènements, il reprend :
« C’est aussi profondément humain, ce bouquin. Prenez ce pauvre critique, ce gars à la remorque : Rouche ! Il est interprété par Luchini dans le film. Il cherche la rédemption quelque part. »
« Dans l’alcool ? »
« Non, voyons. Dans l’amour. L’enquête est secondaire. »
« Par contre, je n’ai pas très bien compris. Qui est Pick ? »
« Pick ? C’est un mystère. C’est pas difficile. C’est dans le titre ! »
Petit clin d’œil. Comme une bulle champagne monte et disparait, voilà mon visiteur de la plage qui s’en va.
…
Cette bulle m’emporte. Elle atteint le haut du verre et éclate.
Je suis tout trempé. Que se passe-t-il ?
Aïe ! Je me suis endormi et voilà que la mer est montée. Tout est trempé. Je ramasse mes affaires et je décampe en vitesse. Mince ! Je ne retrouve pas le livre. Une vague l’a emporté alors que je n’étais qu’à la page 20.
Tant pis, j’irai à la librairie et je trouverai bien un Musso à la place.
T. Sandorf