Ce roman de Mauriac est certainement un des romans les plus importants que j'ai eu à lire dans ma vie. Je l'ai découvert en classe de seconde et me souviens encore avoir fait la moue à l'idée de devoir lire un livre de Mauriac. La lecture, appuyée par le cours brillant et éclairant du prof, m'a surpris et ébloui. Je me souviens qu'un camarade de classe avait dit au prof (ce que je pensais aussi – avant de le lire) que c'était un livre "bourge et catho". Ce à quoi il répondit en souriant et en consacrant une ou deux heures à cette simple remarque : "figurez-vous que je suis athée et que je ne pense pas être un "bourge" ; et pourtant, j'aime beaucoup Mauriac et ce roman en particulier et je vais vous expliquer pourquoi !". Malheureusement, j'ai égaré mon cahier de cours (comme tous les autres cahiers, d'ailleurs) sinon j'y aurais bien pioché quelques infos … A la suite du "nœud de vipères", Mauriac est devenu un auteur que j'ai beaucoup lu et relu avec grand intérêt sinon avec plaisir depuis mon adolescence. En alternance avec bien d'autres romanciers.
C'est le deuxième roman de Mauriac que je chronique sur SC après "Genitrix" et je prévois de faire la critique de la quinzaine de romans que j'ai lus… (Vaste ambition qui risque bien de nécessiter une deuxième vie, au moins)
Une remarque préliminaire s'impose, s'est imposée chez moi après les nombreuses lectures des romans de Mauriac. Même si le terme est impropre, j'ai tendance à le classer parmi les romans de Mauriac comme un roman "généraliste" en particulier parce qu'il comporte de nombreux personnages. C'est normal car le narrateur, Louis, est un chef de famille âgé, marié avec des enfants eux-mêmes mariés avec petits-enfants eux-mêmes mariés et il est amené à développer plusieurs de ces personnages. Quand je dis "généraliste", j'entends que certains "types" de personnages qu'ils soient en ligne directe ou "rapportés", feront l'objet d'un "zoom" dans un autre roman ou en seront carrément le personnage principal. Deux exemples, on retrouvera souvent les types de personnages de Luc, de Willy ou encore de Janine, Geneviève, Isa même, dans d'autres romans. Comme si une sombre obsession poursuivait Mauriac pour toujours faire apparaître les mêmes genres de personnages. Par exemple aussi,"Thérèse" n'est pas non plus sans rappeler Louis. C'est dire donc que ce roman revêt pour moi une certaine importance globale et fédératrice (encore un mot impropre) chez Mauriac.
De quoi s'agit-il dans ce roman ? Louis est un vieillard (*), chef de famille, malade, dont les jours sont désormais comptés. C'est surtout un fils de paysans enrichis qui a été élevé par une mère possessive. Il se marie avec une fille Fondaudège, grande famille catholique et bourgeoise de la région de Bordeaux. Déjà, il y a un mépris souverain de cette famille qui veut bien lui accorder Isa (parce que le fric de ces paysans peut toujours être bon à prendre, parce que Louis est bien homme à savoir défendre ses intérêts, …). Un beau-frère d'Isa, le baron Philippot, du haut de sa vaine hauteur, lâchera un mot : "Enfin, disait-il, ce n'est pas une famille" en parlant de Louis plein d'avenir et fort riche mais d'une origine obscure. Et en effet, Louis est devenu très riche et un avocat d'assises de grand renom.
Mais surtout, une nuit alors que les jeunes mariés Louis et Isa reposent et parlent dans l'obscurité, Isa avoue qu'elle était amoureuse d'un autre mais qui "ne plaisait pas" à la famille. Démarre alors un formidable malentendu qui va générer des années de haine rentrée et de rancœurs chez Louis et chez Isa, d'incommunicabilité entre eux deux.
Le livre est ainsi une lettre, la confession ? de Louis à Isa pour régler ses comptes et se justifier avant de mourir. Sa jeunesse, les vexations subies, la mère trop présente, … Au fond, il se marie pour s'éloigner de sa mère et ne demande qu'à aimer mais l'aveu de sa femme est une nouvelle et irrémédiable vexation. Elle, elle dresse un mur de protection des enfants contre cet homme qui semble si dur, si avare et si insensible. Lui, il s'imagine la cible d'un complot de ses enfants appuyés par Isa pour le déposséder. La mort de la fille cadette, Marie, va encore accroitre le fossé entre lui et sa famille qui l'accuse d'insensibilité voire pire alors qu'il est désemparé sans savoir le montrer. Tout semble les opposer : lui est mécréant (la cotelette du vendredi) alors qu'Isa, en digne rejeton de la famille Fondaudège, est bigote.
Je connais mon cœur, ce cœur, ce nœud de vipères : étouffé sous elles, saturé de venin, il continue de battre au-dessous du grouillement.
Mais voilà, le destin fait qu'Isa meurt la première et le réquisitoire ou la plaidoirie s'effondrent. Les haines s'évanouissent. Louis rend les armes. Complètement. Il découvre la foi et le pardon. La foi oui, mais pas celle d'Isa et de ses enfants et de tous ces bons cathos qu'il rejette et que le trait suivant pourrait bien définir. C'est à l'occasion d'une discussion à bâtons rompus entre les enfants et l'abbé.
Monsieur l'abbé, est-il permis de haïr les juifs ?
Réponse spontanée de Hubert, le fils ainé : il faut haïr les bourreaux de NS
Réponse de l'abbé : on a le droit de haïr qu'un seul bourreau du Christ : nous-même, et pas un autre …
Mauriac, à travers Louis, refuse cette religion de classe qui fait (en substance) "qu'on a ses pauvres à qui on fait l'aumône par devoir alors qu'on refuse la moindre augmentation à son propre personnel en leur démontrant qu'ils n'ont besoin de rien".
Louis rend les armes mais des années d'enfermement et de méfiance font qu'il commet des maladresses face à ses enfants ou même les domestiques.
Je voyais, je touchais mon crime. Il ne tenait pas tout entier dans ce hideux nid de vipères : haine de mes enfants, désir de vengeance, amour de l'argent ; mais dans mon refus de chercher au-delà de ces vipères emmêlées.
Mais voilà, les enfants et petits enfants sauront-ils voir la reddition de Louis après tant d'années de haine, de suspicion et de méfiance. Seule sa petite fille Janine, la femme du fameux Willy, méprisable et méprisant, qui ne s'est marié que pour les "espérances qu'on lui a fait miroiter", semble amorcer un début de compréhension du comportement et de la personnalité de son grand-père.
D'ailleurs, après la mort de Louis, le roman se termine sur deux lettres de Hubert, toujours haineux et suspicieux, et de Janine qui est la seule à vouloir récupérer cette confession que les enfants, Hubert et Geneviève, veulent détruire. Aucun doute que Mauriac a peaufiné sa conclusion en ouvrant une porte vers l'espoir à travers le personnage de Janine.
J'aime l'écriture (efficace ?) de Mauriac qui est très belle et qui reste toujours simple à lire. Les traits pour définir ses personnages ou leurs comportements sont acérés et féroces. Les personnages chez Mauriac sont toujours décrits sans concession et livrés tels quels au lecteur. Mais, malin, Mauriac parsème son roman de petites indications qui montrent que ses héros (ou plutôt les héros qu'il veut bien...) ne sont pas des monstres mais peuvent développer des qualités humaines. Ainsi, par exemple, le personnage de Louis. Un innocent dévoré de culpabilité …
C'est dire si je trouve ce roman très crédible et les personnages convaincants.
Au final, c'est un roman essentiel pour moi et va rejoindre bientôt le top 20 des romans en cours d'élaboration…
(*) : il se définit lui-même vieillard alors qu'il a 68 ans … En lisant le roman, je m'étais toujours implicitement dit qu'effectivement il était vieux … Sauf que là, j'ai juste pris la mesure lors de cette nième relecture qu'il n'avait qu'un an de plus que moi …