Ismaïl Kadaré est mort aujourd'hui. L'année dernière, j'ai lu Le Palais des rêves, son témoignage métaphorique de l'Albanie stalinienne d'Enver Hoxha, avec son économie planifiée, sa surveillance généralisée, son athéisme d'Etat interdisant toute expression cultuelle, sa bureaucratie kafkaïenne, ses centaines de milliers de bunkers, et son fichage de la population. Cette surveillance fût mise en application par la Sigurimi, services secrets albanais, créés pour mettre fin aux mouvements de résistance au régime communiste. C'est d'autant plus étouffant que l'Albanie est de plus en plus isolée, rompant ses liens avec l'URSS, la Yougoslavie, la Chine.

Le personnage central, Mark-Alem, un jeune fonctionnaire de ce palais, est le vecteur idéal pour explorer les méandres de cette bureaucratie infernale. Il est issu d'une famille prestigieuse albanaise, à l'époque où cette dernière est sous domination ottomane. Le Tabir Sarrail est cette organisation mise en place par le Sultan visant à collecter les rêves des sujets de l'Empire et de présenter ceux qui sont particulièrement éclairants sur d'éventuelles conjurations. Le cadre du temple est caractérisé par ses vastes salles et corridors labyrinthiques, ses archives interminables et une hiérarchie rigide où chaque employé joue un rôle dans cette machine bureaucratique. L'empire lui-même, bien qu'inspiré par l'Empire ottoman, est dépeint avec des éléments intemporels qui transcendent une époque ou un lieu spécifique, ce qui permet à Kadaré de faire des allusions subtiles aux régimes totalitaires du XXe siècle. Notre héros se rend compte également qu'à l'occasion, que le Tabir enlève et torture certains sujets comme les minorités juives et arméniennes.


La façon dont le héros termine est particulièrement surprenante, je me dispense de l'évoquer ici, mais il montre bien combien l'emprise mentale du totalitarisme peut pousser à soi-même devenir acteur de cette vague mortifère. En somme, "Le Palais des Rêves" d'Ismaïl Kadaré est un joyau littéraire, un voyage fascinant dans les profondeurs de l'âme humaine et les méandres du pouvoir.

verbomanie
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le 1 juil. 2024

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