Auteur prolifique et trésor national vivant en Estonie, Andrus Kivirähk a conquis les lecteurs français avec son merveilleux roman L'homme qui savait la langue des serpents. L'opération séduction s'est poursuivie avec une deuxième livraison sous le titre Les groseilles de novembre. La toute dernière publication en date, Le papillon, est chronologiquement son tout premier roman paru en 1999 du côté de Tallinn. Et c'est un Kivirähk différent que nous découvrons : moins sûr de son style, plus timide sur le plan de l'imagination et, globalement, moins inspiré. Néanmoins, il serait dommage de faire l'impasse sur ce livre qui ne manque pas d'attraits. Il délivre un bel hommage au théâtre à travers la vie d'une troupe de comédiens qui se donnent corps et âme à leur métier et constituent une famille passablement allumée, qui se chamaille et se réconcilie dans la gaieté et l'insouciance malgré la dureté des temps (l'action du livre se déroule des premières années du XXe siècle à 1917). Le narrateur, August, est mort depuis belle lurette et c'est d'outre-tombe qu'il livre ses souvenirs de cette époque. Mais attention, il nous prévient d'emblée, il est menteur professionnel et tout ce qu'il raconte peut être inventé, en partie ou totalement. Moins versé dans la fantaisie, répétons-le, que ses deux futures oeuvres connues en France, Le papillon n'en est pas moins totalement dépourvu. A travers le personnage d'Erika, par exemple, aimée passionnément par August et, de manière plus sombre, via le chien gris créature symbolisant la mort et qui ne cesse de rôder auprès du théâtre Estonia où se produit la joyeuse troupe. Relativement court, Le papillon laisse un petit goût de frustration et ne donne qu'une envie : attendre avec impatience une nouvelle traduction d'Andrus Kivirähk.
Au passage, soulignons la très belle mise en page du livre, imaginée par Diane Malatesta pour les Editions Le Tripode.