Le parfum des fleurs la nuit où il est question de nuit, d'enfermement, de rapport au temporel et d'écriture.
Le parfum des fleurs la nuit, entre brillant essai sur l'écriture, charmant et poétique recueil de fragments autobiographiques et hélas un zeste de politisation qui ternit quelque peu les deux parts majeures qui y gagnaient à rester universelle et semblant de confidences intimes.
Le titre expliqué par l'oeuvre. L'oeuvre expliquée par deux extraits qui se suivent.
"Le parfum des fleurs": "À Rabat, il y avait un galant de nuit près de la porte d'entrée de ma maison. En été, quand le soir tombait, nous gardions la fenêtre ouverte pour provoquer des courants d'air et mon père disait: "Vous sentez? C'est le galant de nuit !" Année après année, cela ne cessait de l'émerveiller. il suffit que je ferme les yeux pour me souvenir de ce parfum entêtant et sucré. Les larmes me montent aux paupières. Les voilà, mes revenants. La voilà, l'odeur du pays de l'enfance, disparu englouti."
"la nuit": "Je m'appelle la nuit. Tel est le sens de mon prénom, Leïla, en arabe".
Le parfum des fleurs la nuit prend le prétexte d'un nuit où Leïla Slimani s'enferme dans un musée construit sur les ruines d'une vieille douane du XVIIe siècle pour atteindre trois objectifs:
- répondre à l'éternelle question: Qu'est-ce que c'est qu'être écrivain ?
- parler de l'enfance, du passé et du pouvoir du littéraire dans leur préservation face au temps
- revendiquer son statut d'individu bi-national, bi-culturel, d'exilée paradoxale qui ne sait quelle origine choisir et, sans les mots de l'odieux moustachu, sous-entendre la bêtise de celui qui est né quelque part.
L'objectif totalement validé est celui qui concerne l'enfance et de l'éloge de la littérature comme rempart contre le temps et l'oubli.
Pour ce qui est de la définition de l'être écrivain, d'abord universelle, elle tombe dans le piège du moi haïssable et ne finit par donner que la définition de l'écrivaine Leïla Slimani.
À l'image de cet arbre, qu'elle prend pour métaphore de l'écrivain, le mesk el Arabi, le galant de nuit. Universel arbre à poème, qui a un charme secret et tout intime pour elle, il n'ouvre ordinairement ses fleurs que de nuit mais les vénitiens le contraignent à le faire de jour, l'éclairant la nuit d'une lumière artificiel et le conservant dans l'ombre le jour pour enivrer les visiteurs. C'est cela, l'écrivain, l'être qui vit à rebours de la société, enfermé dans un bureau d'où faire surgir des fantômes. Des fantômes que Victor Hugo trouvait dans Les Fleurs du Mal, dans trois poèmes des Tableaux parisiens qu'il renomme par voie épistolaire les "Fantômes parisiens". Parmi ces poème de Baudelaire, Le Cygne, exilé du temps !, et l'on reconnaît aisément "la négresse, amaigrie et phtisique / Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard / Les cocotiers absents de la superbe Afrique / Derrière la muraille immense du brouillard" dans ces passages de Leïla Slimani: "Cette impression étrange que le monde le plus intime, le plus familier, a continué de vivre en son absence et qu'il s'est transformé. C'est à la fois une source d'éblouissement et l'impression désagréable d'une trahison" ou "(...) les villes meurent comme meurent les hommes, les animaux et les plantes. les villes, les édifices disparaissent emportant avec eux les émotions de ceux qui les ont aimés, arpentés, connus".
Cela amène Leïla, auto-proclamée la Nuit, à faire les Cygnes, ce qui est d'abord touchant, mais au point de dénaturer sa métaphore: l'arbre enfermé devient son père emprisonné injustement et la Recherche du temps perdu se change en J'accuse! ; le musée qui semblait prétexte à la méditation s'avère une ancienne douane où l'absente de toutes les nations peut circuler en toutes liberté sans contrainte.
Néanmoins un beau portrait inachevé de l'écrivain et une belle ode à la littérature et à l'imagination plus forte que le temps et que l'engloutissement: "Peut-être est-ce cela la mission de l'artiste ? Exhumer, arracher à l'oubli, établir ce dialogue diabolique entre le passé et le présent. Refuser l'ensevelissement."