En 1946, Mathilde quitte son Alsace natale pour rejoindre Amine, un soldat marocain rencontré à Mulhouse pendant la guerre. D'abord pleine de rêves, Mathilde va petit à petit se heurter à la dure réalité de ce pays en proie à une agitation bouillonnante en faveur de l'Indépendance.
Avec ce roman, deux thématiques sont abordées avec sobriété et justesse: la déracinement et l'intégration (ou la "greffe"). Mathilde, Amine et leurs deux enfants sont tous les quatre des marginaux des communautés française et marocaine pour des raisons propres à chacun: couple mixte, femme grande et homme plus petit, cultures opposées, enfants métisses. Cette drôle de famille suscite la curiosité, les quolibets et la mise à l'écart. Mathilde est vivante et enjouée alors qu'Amine est tout en retenue et accroché à ses représentations de ce que doit être une épouse digne de ce nom. Cette opposition accompagnée d'épreuves difficiles crée des tensions au sein du couple dissonant, rongé par l'incompréhension mais uni par un amour atypique.
Les personnages de Leila Slimani évitent soigneusement de tomber
dans des caricatures et sont dépeints avec une palette de couleurs plutôt vaste, les rendant intéressants à suivre. J'ai eu un faible pour le gynécologue, sa femme et Selma. Le récit ne prend aucun parti pour tel ou tel clan (colons et "indigènes") et promène le lecteur dans ce Maroc au bord de l'explosion politique et sociale. Le point de vue omniscient adopté sert à comprendre les motivations et les pensées de chacun des protagonistes: c'est un roman à voix multiples. Il se dégage de l'oeuvre une certaine sensualité qui n'est pas du tout désagréable avec tout un lexique d'ordre du désir, de la passion et du sexe.
Là où l'auteure excelle particulièrement, ce sont les scènes de tension et de violence qui tiennent véritablement en haleine. Le lecteur a l'impression d'être présent, de vivre cet instant où tout peut basculer.
Le récit se conclue de manière amère voire glaçante au vu des derniers mots prononcés:
Aïsha dit tout de go "Qu'ils crèvent". En parlant des maisons de colons enflammés. La "greffe" n'a donc pas pris d'une certaine manière. La petite fille a choisi son "clan".
Leila Slimani est un coup de cœur personnel. J'admire son écriture simple d'accès mais pourtant très qualitative et accrocheuse. Comme pour Chanson Douce, je n'ai jamais décroché pendant ma lecture. C'est limite frustrant d'arriver aussi rapidement à la fin, surtout en sachant qu'il nous faudra attendre deux ans pour la suite.
Une autre très belle surprise de la part de cette auteure. J'attends le deuxième volume avec impatience.