Achevé le 29 novembre 2024, rythmé par la brise rhodanienne et les ronflements du York.
Au regard de JLFDM, ce texte est tellement précieux, notamment dans cette reprise de l'intrigue avec des voix extérieures et mortes - celles du père et de l'amant - qui rendent l'ensemble si touchant.
Il y a cette longue tirade du père, qui s'émeut de ne jamais avoir pu aller à Paris :
"Et je me disais, lorsque je serai vieux, plus vieux, lorsque j'en aurai terminé de travailler, j'irai à Paris, mon fils aîné y habite, je lui écrirai, et je lui proposerai de venir le voir, d'aller le voir - un grand nombre de choses que je voulais lui dire, on croit qu'on en sera capable, et faire ce voyage-là aussi pour les lui dire, je voulais ça -
et cela même, je ne l'ai pas eu, Paris, non, pas même ça, je suis mort juste avant de profiter, ce qu'on dit, juste avant de profiter.
Ici, dans ce pays, il y a des gens, il faut savoir cela, j'y pense parfois, dans ce pays, il y a des gens qui travaillent leur vie entière dans leur coin, ils travaillent leur vie entière et ils meurent ensuite sans jamais avoir rien vu du pays dans lequel ils vivaient. C'est drôle." (p.70)
Et dans le monologue (qui n'en est pas vraiment un) de Suzanne (à quel point a-t-il été modifié par rapport à JLFDM?) :
"SUZANNE. - (...)
Antoine et Catherine ont une petite maison, pavillon, petite maison, bon, comme bien d'autres, à quelques kilomètres de nous, par là, vers la piscine découverte omnisports, tu prends le bus 9 et ensuite le 62 et ensuite tu dois marcher encore un peu, tu ne peux pas la louper, toutes les autres maisons sont pareilles, mais celle-là ferme le rang. (...)
Non, ce n'est pas bien, là où ils habitent, ce n'est pas bien, c'est un quartier plutôt laid, ils reconstruisent mais cela ne peut pas s'arranger, ils aménagent mais qu'est-ce qu'il y a à ménager? Rue des Martyrs-de-la-Résistance, des noms comme ça, impasse Debussy, c'est se payer l'ennui, un gamin de six ans qui apprend à écrire "Je m'appelle Louis et j'habite rue des Martyrs-de-la-Résistance", ça commence mal." (p.96)
Plus loin, elle poursuit : "on ne peut pas dire que je suis malheureuse (soit malheureuse?)" (p.98) puis encore plus loin
"Je parle trop mais ce n'est pas vrai,
je parle beaucoup quand il y a quelqu'un, mais le reste du temps, non,
sur la durée cela compense,
je suis proportionnellement plutôt silencieuse." (p.99)
Et enfin, une partie d'une tirade de Louis sur l'amour et la solitude :
"LOUIS. - (...)
Je compris que cette absence d'amour, la solitude, dont je me plains et qui toujours fut pour moi l'unique raison de mes lâchetés, appelons ça comme ça, cette solitude, que cette absence d'amour fit toujours plus souffrir les autres que moi. Et qu'ils semblent ne pas m'aimer, comme seule et dernière preuve d'amour.
Je me réveillai avec l'idée étrange et désespérée et indestructible encore qu'on m'aimait déjà vivant comme on voudrait m'aimer mort sans pouvoir et savoir jamais rien me dire.
L'amour définitif, immobile et silencieux." (p.111)