En 1902, Jack London reste quelques temps à Londres, n'ayant pu poursuivre son voyage jusqu'en Afrique du Sud.
Cet épisode lui inspire "Le peuple d'en bas" - qui n'est pas un roman mais un récit sur les conditions de vie terribles des citadins anglais du quartier de l'East End.
"[...] il pleut tous les jours, bon an mal an, de sorte que la rue est notre salle de bains."
De ce séjour, Jack réalise un reportage sans concessions.
Cela lui vaudra même l'incompréhension et le mépris de ses compatriotes qui ignorent tout de ces mœurs à moins qu'ils ne préfèrent se voiler la face.
Il y met tout son cœur pour vivre une aventure qu'il compare aux plus dures expéditions qui puissent être entreprises, qu'elles se déroulent en Afrique ou au Tibet.
Surtout il s'y révèle plein de compassion et d'humanisme.
"Il était criminel, pour le peuple d'en bas de se marier"
Seul son humour et le 2nd degré lui permettent d'endurer - comme les locaux - les conditions d'hygiène déplorables du quartier de l'East End.
Il en tire à titre d'exemple la conclusion que la vie est tellement compliquée, notamment pour loger dignement toute une famille, qu'il vaut mieux profiter de la vie en célibataire, en la noyant dans la bière.
Par bien des aspects, Jack London est en avance sur son temps. En se fondant dans l'Abime ("The abyss" en américain), il met à jour quantité de combats qui seront réalisés en Europe au XXème siècle :
- le droit des femmes et des enfants,
- l'illettrisme et le droit à l'éducation,
- le salaire minimum vital,
- les grands travaux pour rendre salubres les grandes villes,
- le droit des ouvriers, y compris en cas d'accident de travail,
- l'immigration économique.
Au-delà du fond, on retrouve tout ce qui rend les aventures de London agréables à lire :
- des mises en scènes très visuelles et imagées,
- une écriture avec des phrases courtes et nerveuses,
- des chapitres qui poussent le lecteur à découvrir le suivant,
- des valeurs humanistes et un engagement sans faille qui se lit à chaque page.
Ainsi il écrit : "Le résultat, c'est que les femmes reçoivent les raclées que les hommes devraient donner à leurs patrons".
On y découvre également un auteur très instruit, notamment sur la chose religieuse ou les corps de l'armée britannique. Nous sommes loin pour le coup du Jack "simple aventurier" ou "voleur d'huitres". Ainsi les références à la bible, à des philosophes, des historiens ou d'autres auteurs sont nombreuses, pour mieux critiquer ce qui maintient le peuple en état d'hypnose.
En résumé, un livre atypique mais indispensable pour comprendre Jack London et son système de valeurs.