« Le pied de Fumiko » précédé de « La complainte de la sirène », de Junichirô Tanizaki, 1919.


"La complainte de la sirène"



Avant-goût :


Ce recueil de nouvelles s’amorce avec « La complainte de la sirène », où Tanizaki entre dans la peau d’un conteur pour retracer l’histoire d’un prince de Chine, alors sous la prospère dynastie des Qing. Orphelin héritier d’une famille prestigieuse et fastueuse, le prince Meng Shidao jouit d’une magnificence comme d’une érudition ineffable. Ses aptitudes inouïes mènent le prince à s’aventurer et à exceller dans maintes disciplines. Ainsi Meng Shidao traque la moindre particule de volupté spécialement dans les grands crus et ses débauches auprès de femmes gracieuses. Hélas, après avoir fait le tour des jouissances terrestres, tout l’indiffère au point de se cloitrer dans sa tour d’ivoire où seul l’ennui se joue de lui. Désireux de se délecter de saveurs insoupçonnées ; d’innombrables marchands tentent de le complaire, en vain. Meng Shidao demeure las de tant de désillusion, jusqu’à la venue d’un marchand des contrées occidentales, au côté d’un être surnaturel -tant attendu- une sirène.


Mon opinion :


Si, à l’inverse du « Pied de Fumiko », le fond de cette nouvelle ,bien que plaisant, ne sort pas des sentiers battus, la suavité formelle suffit à faire plonger le lecteur dans une expérience sensorielle sans égal. C’est d’une main de maitre que Tanizaki nous immerge dans son récit, en particulier lors de l’esquisse grisante de la sirène. Les enjeux opposés animant les protagonistes ne les préservent pas pour autant de l’atteinte de maux synonymes. C’est là toute la prouesse de l’écrivain dans « La complainte de la sirène », de mettre en scène un être humain - le prince Meng-Shidao- et un être surnaturel -la sirène- qui se ressemblent dans la différence. Cette rencontre leur sera réciproquement bouleversante.


Note : 7/10



"Le pied de Fumiko"



Avant-goût :


Unokichi, jeune japonais provincial, étudie l’art occidental aux Beaux-Arts de Tokyo où réside un parent éloigné, deuxième protagoniste de cette nouvelle, Tsukakoshi. Tsukakoshi est, lui, un marchand de condition aisé, issu d’une famille de prêteurs sur gages depuis l’époque d’Edo. En mauvais terme avec sa famille dû à sa réputation de coureur de jupons, ses tendances libertines le poussent à se lier à une geisha prénommée Fumiko, inglifeant par la même occasion, le coup de grâce coupant définitivement les ponts avec ses liens du sang. Tsukakoshi surnommé  « le retraité » adresse une requête à son cousin éloigné, Uno, celle de peindre un portrait à l’huile de sa maitresse Fumiko, selon le modèle de la sensuelle estampe de Kunisada, mettant à l’honneur une femme pieds nus. Le retraité et l’étudiant vouent alors un véritable culte aux pieds lascifs de Fumiko autour desquels, la peinture comme la nouvelle tournent telles des orbites.


Mon opinion :


La nouvelle arbore l’apparence d’une lettre rédigée par le narrateur soit l’étudiant peintre, Unokichi, à l’attention de Junichirô Tanizaki, l’auteur du récit. Dans la continuation de « La complainte de la sirène »,Tanizaki teinte cette oeuvre d’une attraction non dissimulée pour le monde occidental, que ce soit par les études d’art occidental du peintre ou la provenance de la sirène dans la nouvelle précédente. La thématique majeure à savoir le fétichisme du pied est traité tout en finesse avec une grâce envoutante propre à l’écrivain. Cette prose poétique mène, à l’instar du retraité et du peintre, à perdre la raison jusqu’à courber l’échine devant un pied féminin encensé. Si, dans un premier temps, le titre de la nouvelle méduse le lecteur, à la fin de la transcendance littéraire, c’est un sentiment amer qui nous embarrasse, celui de la frustration de n’avoir jamais été le sujet des pieds triomphants de Fumiko.


Note : 8 /10

Artmure
7
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le 11 avr. 2022

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