Le point de départ rappelle "L'ours" de Jean-Jacques Annaud : on suit en parallèle un vieux chamois chef de harde, d'une ruse et d'une force exceptionnelle, et un vieux braconnier solitaire à sa poursuite. Le récit se passe dans les Alpes et culmine avec la rencontre des deux protagonistes.

Le livre oppose la vie naturelle du chamois, ancrée dans le présent, avec la structure patriarcale de la harde, et le monde des hommes, là-bas dans la vallée, dont la seule intrusion véritable dans le récit est la mention d'une journaliste venue interroger le chasseur. Le temps humain se projette hors du présent, hors de l'instinct, il est donc frustration, là où la vie du chamois est combat virtuose avec le vide, temporalité cyclique et harmonie.

La force du livre repose dans sa description sublime des forces naturelles dans leur plus grande spécificité. Ainsi du vol du papillon : "Un papillon sur un fusil le tourne en dérision. Sa visée est tournée en ridicule par le vol saccadé qui, où qu'il tombe, porte en lui le centre atteint". Ou encore ces beaux passages sur l'orage, sur les habitudes des chamois...

"Dans la nature, la tristesse n'existe pas" (p. 61). Et pourtant le récit semble violer l'axiome qu'il énonce. Le flashback du chasseur se rappelant avoir tué la mère d'un chamois (qui est probablement le roi des chamois dans son jeune âge) suggère, tout comme la vie solitaire que mène le roi, une forme d'inconscient animal. Idem pour le rassemblement de la harde autour de son roi mort. Idem pour l'irruption du papillon, qui emmène le chamois et son chasseur dans une mort commune. La mort du chamois elle-même est hautement aristocratique : il défie le chasseur en lui sautant dessus mais sans le pousser dans le ravin (alors qu'il pourrait le faire), puis s'étend sur une pierre en attendant la balle. Une vraie mort à la Sénèque. Même les éléments naturels sont anthropomorphisés : la tempête qui assaille la cabane en hiver "donne des coups d'épaule" (p. 38).

Peut-être que toutes ces notations sont le fruit des observations de De Luca. Mais ça ne s'accorde pas complètement avec ma perception de la montagne. Pour moi aussi, la montagne est l'ouvroir de la boîte de Pandore de l'imagination, mais je ne projette pas dans les animaux ou les éléments une intentionnalité humaine. L'aspect (faussement, je sais) vierge de la nature dans les parcs nationaux me renvoie à ce que nous avons perdu, à ce dont nous venons : un monde vide par opposition à notre monde plein, et par conséquent un monde ouvert aux possibles. Ce qui n'exclue pas un sentiment de fatalité, vu les contraintes du milieu ; mais pas une fatalité au sens de destin individuel comme semble l'entendre De Luca.

Le livre comporte aussi une brève nouvelle intitulée "visite à un arbre", sorte d'ode à un pin des Alpes affectionné de l'auteur.

En résumé, ce livre a de grandes qualités littéraires mais ma sensibilité diffère de celle de l'auteur... Question de goûts.
zardoz6704
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le 14 mai 2013

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