"Le portrait de Dorian Gray" est un grand classique de la littérature fantastique de l'époque victorienne et assurément l'un de mes romans préférés. Toutefois, j'avoue ne pas vraiment savoir ce que je pourrai ajouter de pertinent en plus de ce qui a déjà été dit sur ce chef d'oeuvre.
Au début du récit, le héros éponyme semble être l'incarnation même de la pureté et de l'innocence, mais son esprit va peu à peu être perverti suite à sa rencontre avec le dandy cynique et beau parleur qu'est Lord Henry, qui se plait à défendre les théories les plus immorales. Tous deux se sont rencontrés par l'entremise du peintre Hallward, qui, prenant pour modèle le jeune homme magnifique et distingué, s'attèle alors à ce qui deviendra l'aboutissement de son œuvre, promise à la postérité.
C'est à ce moment précis que le protagoniste, sous l'influence des propos de Lord Heny, prend conscience du caractère éphémère de sa beauté évanescente, vouée à la décrépitude, à l'instar du flétrissement d'une fleur telle que représentée par la Vanité de Philippe de Champaigne, allégorie de la vie en ce qu'elle symbolise par le sablier et ladite fleur l'écoulement du temps et ses effets inexorables, avec pour seule issue ce funeste destin qu'est la mort. Comprenant cela, Dorian adresse une ultime prière, de sorte à rester jeune à la place du portrait, vœu qui se verra contre toute attente exaucé.
L'histoire est structurée de manière à ce que l'élément surnaturel s'introduise dans la vie du protagoniste après qu'il ait, à la manière d'un Faust voué à tout sacrifier, décidé de vendre son âme au diable, et soit représenté par un objet dont les propriétés paraissent au premier abord transcender le devenir de l'être avant de conduire irrémédiablement à sa perte. Compte tenu des thématiques abordées et de leurs traitements assez similaires, il ne serait pas idiot d'établir un parallèle entre cette œuvre et "La Peau de Chagrin" d'Honoré de Balzac.
Toutefois, et ce n'est là que mon avis, ma préférence va plutôt au "Portrait de Dorian Gray", ce pour diverses raisons, liées autant aux qualités de son écriture (non pas que je mésestime le style balzacien, loin de là) qu'aux réflexions qu'elle suscite. Au fil de l'intrigue et des riches conversations que tiennent les trois personnages, Oscar Wilde prend soin de bien mettre en exergue l'attrait que peut exercer la philosophie hédoniste, soit la recherche constante du plaisir considéré comme une fin en soi, avant d'en montrer les limites, ce notamment au travers des interventions éloquentes, voir ampoulées, de Lord Henry. La frivolité des personnages contraste d'ailleurs avec leur esprit fin et leurs réflexions subtiles. Le tout se voit de surcroît porté par les délicates descriptions de l'auteur et son talent oratoire, alternant entre traits d'esprits et aphorismes. On y trouve aussi une intéressante réflexion sur l'art et ses implications, qui rappelle par certains aspects "Chef d'oeuvre inconnu", pour citer encore une autre nouvelle de Balzac.
Enfin, il est difficile de résister à la fascination qu'exerce sur nous le personnage mythique de Dorian Gray, figure du mal à l'inaltérable beauté, par delà les affres du temps et les stigmates de ses pêchés, d'autant plus terrifiant qu'il s'est rendu intouchable en se dépossédant de ce qui faisait de lui un être humain, jusqu'à ce qu'il ne soit plus apte à supporter le fait de contempler dans un tableau la noirceur de son âme.