Lu en Avril 2020. Traduction de Jean Gattégno. 9/10
Voilà encore un grand livre ! Un livre qui m'attirait beaucoup et qui ne m'a pas déçu quoiqu'il m'ait surpris.
Dorian Gray est un jeune aristocrate d'une beauté et d'une pureté sans pareil. Le peintre Basil Halward en fait son modèle d'exception et lui tire le plus beau portrait qu'il ait jamais réalisé. Malheureusement (ou pas), Dorian va faire la rencontre d'un ami du peintre, un certain Lord Henry, dont l'occupation principale est d'ensorceler son auditoire en les noyant sous les aphorismes et les remarques pleines de sens. Une forte amitié va lier les deux hommes et Dorian laissera libre-court à ses pulsions, faisant des actes abominables qui déteindront uniquement sur le fameux portrait.
Je crois le pitch plutôt bon et justement on y retrouve bien moins de fantastique que ce à quoi on peut s'attendre. Le registre fantastique n'est là que pour soutenir plusieurs thèses entre essai sociétal, philosophie de l'art et fantastique morbide ; le tout dans un style sobre mais élégant.
On en parle parfois aussi comme étant un roman philosophique. Néanmoins, la philosophie présentée ici n'a rien rigoureuse, il s'agit seulement de donner une philosophie de vie (un hédonisme sans concession) aux personnages.
D'ailleurs, si le personnage de Dorian est un héros dont la vie est intéressante à suivre, c'est pour moi le personnage de Lord Henry qui est un véritable chef d’œuvre. Wilde disait que c'était comme cela que les gens le voyaient (il était en vérité comme le peintre et voulait être Dorian), et donc Wilde devait être un homme fascinant mais un véritable poison.
Le regard acerbe que Henry porte sur sa société est d'une étonnante atemporalité. C'est pourquoi j'ai tout de suite accroché au roman, il possède une essence universelle. Tous les personnages décrits existent dans notre monde et les remarques quoique caricaturales sont emplies de vérités ou du moins de ce que certains croient être la Vérité.
De fait, la seconde partie du roman, quand on se retrouve 20 ans plus tard m'a semblé moins incisive. Laissant place à un exhibitionnisme de la décadence pour l'amour de l'art.
Son chapitre 11 par contre, qui est beaucoup décrié, m'a au contraire particulièrement intéressé. Il marque une pause contextuelle et narrative qui fait la transition entre les deux personnalités radicalement différentes de Dorian.
En conclusion, les 3 personnages qui structurent le récit sont complémentaires et très évocateurs. On peut s'identifier à chacun d'eux, à tour de rôle sans que cela ne crée de dissonance cognitive. Tous les trois étant en fait l'artiste créateur/destructeur d'un autre.
« Tout art est parfaitement inutile » (préface)
« La chose la plus banale devient délicieuse dès qu'on la dissimule »
« J'adore les plaisirs tout simples, ils constituent le dernier refuge des êtres complexes »
« Aujourd'hui, les gens connaissent le prix de tout et ne savent la valeur de rien »
« Pour recouvrer ma jeunesse je serais prêt à tout, sauf faire de la culture physique, me lever de bonne heure ou devenir respectable »
« Vous sacrifieriez n'importe qui, Harry, pour une épigramme »