S'attaquer aux monuments de la littérature, quels qu'ils soient, est toujours un peu délicat. D'une part, parce qu'il y a souvent un genre littéraire particulier à l'époque à laquelle ils ont étés écrits, le style de l'auteur, et surtout le rayonnement de ces oeuvres que de nombreux amateurs ne manquent jamais de souligner.
Dans le cas qui nous concerne, il y a la période Victorienne, avec son romantisme, son réalisme et surtout l'émergence de nombreux monuments de la science-fiction.
Bram Stocker, Mary Shelley, Edgar Allan Poe, Robert Louis Stevenson ou encore Jules Verne sont les premiers noms qui me viennent à l'esprit quand je pense à la littérature Fantastique.
Et puis il y a Oscar Wilde. Bien sur j'avais entendu parlé du "Portrait de Dorian Gray", mais je ne l'avais jamais lu. J'ai donc commencé mon retour aux classiques par lui.Et je dois dire que je suis plutôt mitigé sur la grandeur de l'oeuvre, mais pas totalement déçu pour autant.

Je ne veux pas tomber dans le jugement hâtif d'un livre à cause de son style, car Les auteurs que j'ai cité plus haut et que j'apprécie tout particulièrement appartiennent tous à cette période et il faut donc se faire au style pour apprécier le caractère de leurs romans.
En dehors de cet aspect, il y a plusieurs points qui sont assez médiocres dans ce livre, qui laissent un sentiment de survol, d'inachevé, qui choquent également.J'ai aussi apprécié certaines idées, ou plus généralement l'ambiance qui se dégage du livre.

Mais voyons ça :
Autant j'aime le style précis et incisif de Poe, le côté descriptif (parfois un peu pesant) de Verne ou le style si particulier de Bram Stocker, autant j'ai trouvé Oscar Wilde vraiment pédant et pompeux. Il écrit souvent avec emphase, rajoutant tournure littéraire sur tournure littéraire, au point que ça finit par vraiment me casser les couilles. Il appuie aussi dans la préface de son livre sur les qualités que doit avoir toute personne se voulant lecteur et/ou critique.
Je cite :
"Ceux qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont corrompus sans être séduisants. Et c'est une faute. Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses sont cultivés. Il reste à ceux-ci l'espérance. Ce sont les élus pour qui les belles choses signifient simplement la Beauté.
Un livre n'est point moral ou immoral. Il est bien ou il est mal écrit. C'est tout."
Là j'ai toussé.
Un tout petit peu plus loin, alors que le livre vient à peine de commencer, Oscar Wilde se lance dans une grande tirade sur la Beauté, l'éloge de la jeunesse et de l'amour avec un grand A. Puis les propos deviennent de moins en moins ambigus, pour décrire un bon gros amour virile, que le peintre Basil exprime en peignant Dorian. Mais le plus dur à lire, pour un bon vieil ours des cavernes hétéro comme moi, c'est qu'au moment où la scène est écrite, Dorian est un ado, et Basil un homme d'âge mûr.
Alors là je dois dire qu'à sec et sans vaseline, j'ai toussé aussi. Je n'ai rien contre les amours homosexuelles, (chacun fait ce qu'il veut et je respecte ça) mais amenées aussi rapidement et dans un livre que je considérait comme franchement ésotérique et un peu rococo, la vache, ça calme.
Plus tard j'ai regardé la bio de l'auteur, pour découvrir qu'il a souffert de son homosexualité, désavoué par la "bonne" société de l'époque, surtout du au fait qu'il était très épris d'un adolescent et qu'il avait le double de son âge...
Mais bon...Heureusement ces passages sont surtout présents au début du livre, et plus éparpillés ensuite.

On peut également reprocher à l'auteur de rester à la surface de l'histoire et certaines incohérences. Car on voit Dorian s'enfoncer dans les vices, les histoires sordides, mais on ne le suit qu'une seule fois dans un pub louche et on ne connaît rien ou presque de ses mauvais penchants. Ils sont juste décrits une fois ou deux par Basil, lors de leur rencontre vers la seconde partie du livre.
Une incohérence majeure m'a aussi sauté aux yeux, car elle est accolée à un rebondissement majeur de l'histoire, qui tombe comme un cheveu sur la soupe : alors que Wilde fait sortir Dorian Gray en pleine nuit, en état de manque à l'opium, pour aller dans le fameux bar, il y rencontre Allan, s'énerve et puis s'en va. Sans autre forme de transition. Exit l'état de manque, exit les tourments. Il se lève et s'en va.
Il sera ensuite rattrapé par le frère de Sybil, et causera une grande introspection chez Dorian. En plus d'être assez incohérent, ce passage demeure un peu succinct quand même, surtout pour quelqu'un qui recherche la poésie et la Beauté comme ligne de mire.

Ensuite je rejoint le point de vue de Nananah, les personnages sont très caricaturaux.
Lord Henry est un cynique hautain, manipulateur et assez malsain, Basil Hallward est un artiste peintre qui se perd dans son monde de fantasmes et de recherche de l'idéal de la beauté, Dorian Gray est un ado un peu couillon qui se fait trimbaler de bout en bout par Lord Henry.
Par contre je trouve quand même un certain contraste entre les personnages principaux, assez basiques et prévisibles, et les personnages secondaires. C'est précisément un des points qui me font aimer le livre.
Les personnages secondaires sont peu présents, mais leurs présence permettent toujours d'assurer quelques échanges savoureux vers la fin du livre, ou de mettre une situation en valeur avec humour.
Je pense surtout aux rencontres galantes entre Sybil Vane et Dorian, tellement exagérées que même pour l'époque, on ne peut s'empêcher d'y voir un clin d'oeil d'Oscar Wilde.
Et ils permettent surtout une mise en valeur de la femme plutôt inattendue et rafraîchissante, avec Lady Narborough entre autres. J'ai apprécié de voir qu'au travers de Lord Henry le cynique, on trouve une forme d'admiration pour l'intelligence des femmes, ce qui pour l'époque est suffisamment rare pour être cité, vu que les femmes étaient surtout des objets un peu futiles et à garer dans le salon.
Le discours est incisif, assez particulier, mais présent quand même.

Les points suivants sont ensuite franchement plus positifs. Une fois qu'on s'est imprégné du style, ça va mieux. Je n'ai plus été trop dérangé par les descriptions envolées et les tournures de phrases alambiquées. Au contraire, j'ai de plus en plus été surpris par l'ambiance et le rythme.
L'ambiance, à partir du premier quart du bouquin, devient assez sombre et assortie d'un rythme excellent. J'ai vraiment apprécié les moments où Dorian constate les changements sur son portrait, de plus en plus sombres, de plus en plus malsains.
Et c'est là que j'ai enfin trouvé les racines du génie, les racines du genre fantastique chez Oscar Wilde. Ces passages sont écrits avec précision, avec style et avec du rythme.
On voit Dorian se métamorphoser intellectuellement, s'interroger, et chaque mot a un sens et une portée claire et nette. On dévore le livre, car il a enfin une portée plus lointaine qu'un énième roman sur la vie de ces pauvres petits bourgeois oisifs de l'époque.
J'ai apprécié au bout du compte le fait que justement, Oscar Wilde réussisse à nous décrire la tombée en enfer de Dorian sans jamais faire de voyeurisme, ni de description sordide de ses déboires. Il suggère et on y voit clair en plus.
C'est là que j'ai compris la force du livre. Il suggère, il ne décrit pas. Et c'est efficace, parce que jusqu'à la fin, on se demande comment va finir Dorian. Et il y a du rebondissement en plus !
C'est quand même appréciable quand on sait qu'à l'époque tout l'art était dans la description quasi maladive de chaque action et qu'aujourd'hui, n'importe quel livre, série ou film qui se respecte fait surtout dans l'avalanche de description sordide.
Alors autant j'ai été un peu déçu par le style particulier et certains passages, autant j'ai reçu une grande leçon d'écriture, du genre qui vous fait vous sentir admiratif et avec la mâchoire qui pendouille.

Donc si vous recherchez un roman moderne, un peu dans le style de certains policiers qui décrivent en détails tous les meurtres, comportements déviants et autres, évitez ce livre.
Si par contre vous cherchez une histoire originale, à forte personnalité, foncez !

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le 22 juin 2013

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amjj88

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