Le fantastique, c'est cet équilibre fascinant, quoique précaire, entre le réel, dans ce qu'il a de rude, de sophistiqué, de violent, et cette étrange prisme déformant, dans ce qu'il a d'inquiétant, d'invraisemblable, et de sidérant. Cette sidération du regard, des sens, la subversion du réel, l'atmosphère pénétrante d'une salle où l'on peint est parfaitement maîtrisée dans cette oeuvre. Et pourtant, derrière cette curieuse métamorphose de la réalité banale d'un jeune peintre, se trouve sans doute l'une des plus belles énigmes philosophiques qui soient: faut-il profiter de la vie, se rire d'elle, ou la fuir, et passer "à côté" de la vraie vie? Dans un style élégant, parfois ampoulé, inondé de descriptions morales et physiques d'un époustouflant réalisme, Wilde interroge notre part "sombre" (si j'étais gonflé, je dirais "notre côté obscur"), et fait de chacun de nous des criminels potentiels, des équilibristes entre la raison, la morale d'un côté, et la débauche ou la perdition de l'autre. En apparence pessimiste, l'oeuvre fantastique n'est qu'une leçon de vie et de modestie, un appel au relativisme moral, tels que l'auraient fait les Stoïciens dans l'Antiquité. "Nous sommes tous dans le caniveau, précise-t-il d'ailleurs, mais certains regardent les étoiles".