Rompant avec le registre des ethno-polars qui l’ont distingué, Ian Manook nous plonge cette fois dans une histoire bien franchouillarde, aux résonances autobiographiques, sur fond de délinquance en banlieue HLM dans les années 1960.
Issu comme l’auteur d’une famille arménienne établie à Meudon, dans une banlieue ouvrière qui, si blême soit-elle, s’accroche comme elle peut à tout ce qui la sépare des bidonvilles de Nanterre peuplés par la diaspora algérienne, marocaine et portugaise, Sorb ne sait que faire de sa vie et n’en fait donc pas grand-chose. Lui, l’étudiant à la Sorbonne qui fréquente une fille rebelle des beaux quartiers, qui rêve d’ascension sociale mais ne parvient pas à se dissocier de la bande de jeunes qui zone dans son quartier, est si bien en perte de repères qu’offert à toutes les influences, il est une pierre qui roule à la merci de la moindre pente.
Tout bascule lorsque, par accident, l’un des garçons cause la mort d’une femme et entraîne toute la bande dans une spirale descendante. Entré dans le récit par la découverte du cadavre et par l’ouverture d’une enquête par un commissaire à la Audiard, l’on aurait tort de se croire embarqué dans ce qui ne serait qu’un polar aux accents argotiques des années 1960. La véritable chair du roman est son ambiance directement condensée à partir du vécu de l’auteur, pour une restitution plus vraie que nature d’un temps où la stratification sociale ne laissait guère d'espoir d’échapper à son milieu.
Pendant que les filles de bourgeois, si indociles soient-elles, ont toutes les chances de finir par se soumettre au mariage de raison arrangé par leurs parents, les enfants de prolétaires sont une minorité à oser rêver de s’arracher à la grisaille de leurs quartiers, soit comme Sorb par le biais d’études supérieures, soit comme son ami Figos, engagé comme mercenaire en Afrique. Sinon, l’on s’échine de père en fils à Billancourt, entre ennui et soulagement d’échapper à pis encore, lorsque, dans une France en cette année 1962 encore traumatisée par les « événements » en Algérie, les harkis s’entassent dans des camps de fortune.
Au travers d’un Sorb hésitant dangereusement sur la ligne de crête de sa vie, l’on se retrouve ainsi à traverser l’actualité française bien chaotique de 1962, entre attentats de l’OAS, ratonnades et manifestations à Paris, répression policière au métro Charonne, enfin grand référendum destiné à sauver la légitimité de de Gaulle. Et toujours, en fil rouge débouchant sur un final superbement métaphorique, le jeu du pouilleux massacreur auquel s’adonne, au propre comme au figuré, Sorb et sa bande de copains, en chute libre vers la loubardisation.
Entre polar et roman social aux accents autobiographiques, une belle occasion de se plonger dans le tumulte politique de 1962 en France, année de tous les dangers pour les jeunes personnages du livre.
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