Le Prieuré de l'oranger nous plonge dans un monde imaginaire sur lequel plane une menace millénaire incarnée par un dragon terrifiant et hostile à la race humaine mais aussi aux dragons s'opposant à lui, peuplant cet univers de fantaisie. Bien entendu cette épée de Damoclès est sur le point de s'abattre et l'intrigue va dés lors s'attacher à nous narrer l'histoire de cette lutte contre le Mal à travers le parcours de différents personnages dont les destins vont bien entendu s'entremêler.
En lisant le résumé et en débutant ce bon gros pavé qu'est Le Prieuré on comprend très vite que le récit aborde de manière très classique les thèmes habituels, en brassant parmi moult légendes, contes autres mythologies. On retrouve comme dans bon nombre d'œuvres du genre un ennemi éternel endormi sur le point de se réveiller, des dragons et autres créatures fantastiques, des rois/reines avec toutes les intrigues et autres conspirations de cour les accompagnant, de la magie, des termes inventés pour façonner un univers finalement proche du nôtre sur bien des points... La liste est longue et cela pourrait ressembler à un reproche mais il n'en est rien tant le roman de Susan Shannon évite bien des écueils pouvant polluer un bon roman de fantaisie et brasse ce classicisme avec une efficacité prodigieuse.
En effet on ne cherchera pans ce livre une vague de nouveauté, des retournements de situation extravagants ou autres effets de style voulant à tout prix retourner son lectorat, mais tout simplement un récit solide, qui brille par son rythme impeccable une grande partie du temps (c'est un peu moins le cas vers la fin), par la concision de sa plume (son humilité serait-on tenté de dire) et par le développement de ses personnages.
L'auteure sait faire avancer continuellement son histoire, ne cherche pas à y apporter du superflu ou une couche de gras qui n'aurait d'autre résultat que d'alourdir sa narration, ce même dans un but louable d'épaissir son univers. Elle va à l'essentiel, chaque élément semble avoir son importance, et au final on s'étonnerait presque que ce livre épais ne soit finalement pas trop long. Les scènes d'actions décrites dans ces pages ne s'éternisent pas non plus, comme pour démontrer que ce ne sont pas les choses les plus importantes d'une histoire pareille. Seul compte l'intérêt de raconter une bonne histoire, qui mélange les influences pour créer un monde que l'on peut toutefois relier au nôtre sur bien des points. Simple et efficace.
Cette simplicité bienveillante se retrouve dans le style littéraire (en tout cas dans la traduction) qui aligne les phrases courtes, légères et jamais encombrées par des descriptions interminables (suivez mon regard). Cela fait que l'on progresse sans cesse dans l'intrigue tout en appréciant le caractère des personnages.
Car cette volonté d'épurer au maximum le style et le développement de l'histoire ne se fait pourtant jamais au détriment de celui des personnages. Ces derniers, pour la plupart féminins, sont tous intéressants, s'inscrivent dans une démarche féministe mettant en valeur les personnes de ce sexe mais sans leur opposer des hommes cruels, pervers et dominateurs. Ces femmes sont fortes, libres et de caractères mais les hommes, bien qu'un peu moins présents ne sont pas pour autant dépeints amèrement et l'on constate même que les personnages antagonistes (mais pas de façon manichéenne) sont justement principalement des femmes.
Le Prieuré est donc un roman solide et agréable à lire auquel on pourra juste reprocher que certains dénouements se fassent trop facilement et trop rapidement, entachant leur crédibilité et laissant un peu perplexe le lecteur qui pouvait s'attendre à des complications. C'est peut-être sur ce point sur l'on atteint les limites de ce projet, à vouloir faire simple l'auteure manque un peu de souffle pour donner plus d'élan à son récit. Le dernier tiers pourra sembler un peu moins travaillé au niveau de son intrigue mais clôt quand même une bien belle histoire, pleine d'aventure, de sentiments et de mystère, de mythes et de légendes dont les années ont façonné un aspect véridique qui s'effondre sans surprise au fil des révélations. C'est là tout l'enjeu de ce conte gigantesque, nous rappeler que l'Histoire n'est jamais qu'écrite par l'Homme dont le mensonge est partie intrinsèque, que celui-ci soit inconscient ou non, bienveillant ou non.
Un conte redoutable d'efficacité, malin dans ses choix quant au style et au développement de son intrigue, et qui fera passer de beaux moments au lecteur amateur du genre.