D’innombrables livres sont publiés chaque année. La fantasy, en tant que genre enfin mieux accepté, n’échappe pas à la règle. Il est dès lors recommandé d’être « sélectif », car ni le portefeuille, ni le temps s’accordent toujours pour tout découvrir. Même si, à l’exception de Tolkien, j’ai surtout lu de la fantasy publiée à partir des années 90, j’ai souvent découvert des sagas « cultes », qui avaient déjà fait leurs preuves. Aussi, de temps en temps, je pense qu’il est bon de découvrir de nouveaux auteurs, de leur accorder leur chance afin qu’ils définissent la nouvelle génération.
Samantha Shannon, déjà auteure d’une saga avec trois livres publiés sur sept, n’était pas totalement inconnue, mais « Le Prieuré de l’Oranger », sorti l’année dernière, a été un best-seller. Bien sûr le succès ne rime pas forcément avec qualité, mais le synopsis m’a de suite intéressée, et après quelques avis dithyrambiques à son égard, j’ai décidé de prendre part à cette aventure.
De prime abord, Le Prieuré de l’Oranger apparaît comme un récit de fantasy somme toute classique. Sa principale originalité provient de ses sources d’inspiration qui puisent beaucoup dans l’histoire et la mythologie est-asiatique, jusqu’à sa représentation des dragons, là où la fantasy s’inspire souvent des mythologies celtes et nordiques (compréhensibles quand on sait où il est né). On y suit les aventures de trois personnages principaux : Sabran IX, à la tête d’une longue dynastie de reines, doit assurer la pérennité de sa lignée, Ead (au nom complet bien plus conséquent), mage d’une espèce de « secte influente », doit protéger sa reine en tant que servante, et Tané, chevaucheuse de dragons, doit progresser après un rude entraînement.
Au-delà de simplement réciter le synopsis, mon appréciation personnelle importe davantage. Je pense que ce livre illustre à merveille le fait que des ingrédients « ordinaires » peuvent être combinés pour une histoire prenante et efficace. L’originalité, si bien traitée, est évidemment bienvenue, mais on ne peut rejeter un récit d’apparence trop « commun » quand il recèle de qualités indéniables.
Et elles sont nombreuses ! Je souligne la richesse de cet univers au background aussi détaillé que bien amené. Il parvient, en l’espace d’un unique quoique compact tome, à rendre ce monde crédible et vivant. Il a existé avant l’histoire et existera après. Il regorge de mythologies épiques et de contes émouvants, liés directement ou non au parcours de nos protagonistes. Les intrigues politiques, désormais indissociables du genre, s’intègrent également et nous offrent leur lot de coups bas et de scènes haletantes. Si l’histoire met un certain temps à poser ses engrenages, elle se rythme au fur et à mesure de sorte à devenir accrocheuse, portée par une plume entre simplicité et raffinement.
Il est inévitable de parler des personnages. Le trio principal se révèle très attachant. Ma petite préférence s’oriente pour Tané, par son caractère et sa détermination, mais par leur respective ambition et ténacité, Ead et Sabran n’ont rien à lui envier. Et c’est par la diversité des personnages secondaires que le récit s’illustre également : Niclays et Loth affichent leur tragédie passée tandis que « l’Impératrice Dorée » intrigue tout autant qu’elle inspire la crainte. Sans oublier « Kalydra », tapie dans l’ombre, prête à surgir pour assaillir nos héros la vérité comme ultime arme.
Par-delà ses rebondissements, par-delà sa complexité et sa richesse, le Prieuré de l’Oranger est relativement manichéen. Le bien et le mal sont clairement identifiés, même si des traîtres surgiront de temps à autre pour prodiguer une touche de « grisaille ». Peut-être que je manque d’objectivité… Mais ce n’est pas forcément un mal. Certes nous sommes à une ère où on souhaite de la fantasy « plus sombre et réaliste », mais tant que le concept de cette lutte héroïque est écrit avec qualité, ce qui est le cas ici, j’apprécie toujours. Parfois il est bon de voir un peu de lumière parmi tous ces récits sombres.
En l’occurrence, si Sabran perd son mari et le bébé dont elle est enceinte au milieu de l’histoire, assez peu de personnages « gentils » meurent durant le récit. Lors du combat final, que j’ai trouvé épique quoiqu’un poil trop court, aucun personnage principal ne meurt, et par leur héroïsme, Ead et Tané s’unissent pour triompher de la sorcière Kalydra et du « Nameless One », le « Dark Lord » de ce récit.
Le Prieuré de l’Oranger prouve donc qu’avec un ensemble d’ingrédients savamment distillés, une attention particulière accordée à l’écriture des personnages et une imagination débordante consacrée à l’élaboration de son univers, on peut obtenir d’excellentes histoires. Une auteure à suivre, assurément !