Après Le Sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari délivre un court roman à l'allure d'essai qui s'intéresse à un physicien allemand de la première moitié du 20e siècle. L'auteur, à travers les mots d'un narrateur au parcours de philosophe, nous parle de la vie d'Heisenberg ; pour un récit mélangeant éléments biographiques et réflexions personnelles.
La première partie parlera plus de physique quantique, science complexe et semblant inabordable, traitée en l'espèce avec une vision quasi poétique et artistique. Grâce à une plume qui fait merveilleusement effet à l'instar de ce que l'on pouvait apprécier dans son livre précédent, Jérôme Ferrari nous parle comme à travers un rêve des motivations, des causes et conséquences et des luttes qui ont pu jalonner le parcours d'Heisenberg. Il relie tout cela à la beauté du monde que l'on essaie peut-être vainement de comprendre, d'expliquer d'une façon mécanique ; il nous parle de l'homme qui essaie de "regarder par dessus l'épaule de Dieu". La finesse de son écriture et la mélancolie qui se dégage non seulement du style mais aussi des thèmes abordés et de l'analyse qui est faite, donne à cette première partie un cachet littéraire absolument remarquable. Au fond peu importe que l'on connaisse ou non ce physicien, peu importe que cette science nous semble presque inhumaine, le sujet devient merveilleusement beau entre les mains d'un écrivain doué, et s'accompagne d'un angle de réflexion original.
Par la suite le récit retombe un peu peu plus dans un classicisme par forcément regrettable mais qui nous surprend moins et nous séduit moins, l'auteur préférant parler des enjeux de la recherche scientifique relatifs à la guerre, des tourments que ceux-ci peuvent engendrer dans la communauté internationale scientifique et des positions affichées par les chercheurs, qu'elles soient officielles ou officieuses. On nous parle alors de la vie d'une poignée de physiciens allemands qui se trouvaient sous garde anglaise et dont on essayait de déterminer la culpabilité ou non tout en les "protégeant" d'une possible fuite vers le camp russe. La vision de l'intérieur de ce petit groupe d'hommes est intéressante et arrive à individualiser ce qui aurait pu être perçu comme une communauté isolée et hermétique au commun des mortels.
Le récit s'achève et l'on se dit que l'on aurait aimé encore plus de belles phrases ciselées, philosophiques et poétiques sur le pouvoir de l'Homme, ses motivations et ses incertitudes. Sa désuétude aussi. Peut-être aurait-il fallu mettre un peu plus en avant le narrateur mais cela aurait été risquer d'éclipser le sujet principal. Un peu court dans sa première moitié, juste comme il faut dans la seconde, Le Principe est un traitement relativement original et surtout bien écrit d'un sujet obscur, qui se dévoile ici non par ses caractéristiques techniques et scientifiques mais par sa portée philosophique et universelle.