Le procès du Procès
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Oui, je sais, je vais encore parler de l'absurde, d'une part parce que j'aime bien, et d'autre part parce que Le Procès est l'oeuvre qui, avec l'Etranger, donne la sensation la plus réaliste et palpable du sentiment absurde. La plus belle ironie est que l'ouvrage n'offre justement pas le réel absurde.
La belle étrangeté de ce roman tient en une parfaite antinomie entre la condamnation certaine, implacable et inévitable de l'anti-héros K, projection de Kafka lui-même, et la profonde liberté des protagonistes que l'on ressent jusqu'au dénouement. Le Procès n'est selon moi pas une critique de la justice, de l'administration ou de la société en général et je pense que c'est une grande erreur sémantique d'analyser le texte selon cette assertion. Beaucoup d'analyses bâclées se sont attachés à cette corde littéraire illusoire et comme l'a écrit Camus:
Tout l'art de Kafka est d'obliger le lecteur à relire. Ses dénouements, ou ses absences de dénouement suggèrent des explications, mais qui ne sont pas révélées en clair et qui exigent, pour apparaître fondées, que l'histoire soit relue sous un nouvel angle. in Le mythe de Sisyphe, "l'espoir et l'absurde dans l'oeuvre de Franz Kafka"
Le Procès est justement cette oeuvre qui permet, suite à la lecture du Mythe de Sisyphe, de ressentir l'Absurde le plus pur au sens de Sartre et Camus. Le héros est libre et prisonnier, condamné pour un crime inexistant, ou du moins qui ni lui ni le lecteur ne connaîtront. Il rencontre des pseudo-alliés toujours plus vides et inutiles qui lui suscitent un désespoir lucide et muet mais qui n'est créateur par la révolte qu'il engendre.Mais ce n'est que l'oeuvre absurde dans ces principes mais pas son essence. Le Procès est bien plus subtil qu'une simple fresque absurde. C'est pour certains, comme Groethuysen une oeuvre purement esthétique qui décrit les pérégrinations d'un dormeur éveillé.
Pour Camus, il s'agit d'une illusion de l'absurde, puisque le héros s'y résigne graduellement, alors que l'Absurde selon lui est justement ce sentiment irréductible, irrépressible qui nous rend le monde si étranger, que l'on refuse jusqu'au bout et qui donne une forme au destin. L'Absurde qui au contraire de Kafka, engendre le puissant sentiment de la révolte créatrice. Finalement, à ce sens, seul Nietzsche a créé l'oeuvre purement absurde. Ici, l'abandon du héros n'est qu'une manière de s'abandonner à l'éternel sans faire face à ce sentiment créateur. La recherche de l'éternel est méticuleuse et K. est livré tout entier aux humiliations du divin.
K. n'est pas l'Homme Révolté.
Mais c'est là toute la beauté et le génie du Procès, qui par lui même se fiche bien de nos analyses. C'est une oeuvre marquante, qui n'est pas une critique, pas un éloge de l'absurde, et pas uniquement une oeuvre esthétique. C'est cette vallée de l'étrange que l'on parcourt avec un agréable dégoût.
C'est une oeuvre qui offre tout et ne confirme rien.
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le 8 janv. 2017
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