La guerre au Liban est un sujet qui m’avait déjà touché, notamment par la pièce « Incendies » de Wajdi Mouawad, le roman « Une mémoire pour l’oubli » et le long poème « La Qasida de Beyrouth » de Mahmoud Darwich ; je suis donc entré dans l’histoire du « Quatrième Mur » de Sorj Chalandon en terrain conquis, toute mon attention était éveillée. Le premier chapitre, prolepse racontant l’explosion de la voiture du narrateur, et repris à la toute fin, m’a aussi rappelé la structure de « L’attentat » de Yasmina Khadra, sans doute le meilleur de cet auteur, et qui m’avait beaucoup plu il y a quelques années.
Le talent de Chalandon est ici dans le rythme effréné : les faits, les personnages et la psychologie sont mis en place par touches rapides ; on a l’impression d’un film avec un immense nombre de plans séquences. Le récit, très bien documenté, sait mettre en place d’abord les militants politiques en France, puis les protagonistes de la guerre au Liban, de manière forte, sans pour autant prendre parti ou porter de jugements de valeur trop lourds : le rythme effréné permet de donner une impression de légèreté.
Le bémol vient du rythme effréné ; au bout d’un moment, on n’en peut plus. Sorj Chalandon reprend à l’écriture journalistique les phrases courtes, l’abondance des phrases nominales, les élans poétiques dans la dernière phrase en fin de paragraphe ; si cela colle parfaitement avec les premiers passages de guerre, mettant en relief leur violence, l’effet tombe à plat, je trouve, lors du retour de Georges à Paris. Chalandon arrive à faire un roman assez court pour que cela ne devienne pas complètement insupportable ; mais, parfois, c’est tout de même un peu lourd. L’écriture hachée plaira à beaucoup ; l’impression de déjà-vu et revu m’a de mon côté parfois lassé.
Ce qui plaît aussi dans ce livre, c’est évidemment la question de l’art, à travers l’essai de mise en scène d’Antigone d’Anouilh sur la ligne de démarcation pendant la guerre du Liban, mais aussi la récitation du poème « Demain dès l’aube … » de Hugo par un chef de guerre, et par celle du poème « Identité » de Darwich par des enfants palestiniens : le roman de Chalandon ne cesse de se demander quel peut être le rôle de l’art en tant de guerre. La réponse donnée, me semble t-il, est que l’art se trouve face à la guerre comme Antigone face à Créon : une résistance farouche et grandiloquente, mais vouée à l’échec programmé ; l’art sait qu’il ne peut rien face à la guerre, mais il lutte quand même contre la guerre. Et c’est finalement le Chœur d’Antigone qui prend la parole au narrateur pour dire : « C’est fini ».
(J'ai écrit l'original de cette critique ici : http://wildcritics.com/?q=critiques/le-quatri%C3%A8me-mur-sorj-chalandon)