L’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy poursuit l’exploration fantasmagorique de sa mémoire familiale pour une nouvelle saga que la flamboyance de sa plume métamorphose en odyssée fabuleuse et baroque.


Tout commence sur les marches d’une église, quand, loin de se douter de l’épopée qui s’enclenche, une mendiante recueille et décide d’élever un nourrisson abandonné. Prénommé Antonio, l’enfant grandit « sur les berges du lac de Maracaibo, dans un endroit du monde si dangereux qu’on l’appelait Pela el Ojo, ‘’Ouvre l’œil’’. » Vendeur de cigarettes à l’unité, piroguier, puis à l’adolescence employé dans l’industrie du pétrole ou encore dans un bordel, sa vie change lorsqu’il apprend à lire et à écrire, rencontre sa future femme Ana Maria et répond à son défi - « je ne me marierai qu’avec l’homme qui me racontera la plus belle histoire d’amour » - en lui offrant un délirant florilège de récits recueillis dans la rue.

Ils formeront tous deux un couple de médecins, elle la première de l’État de Zulia, lui bientôt recteur d’une université, et prénommeront leur fille unique Venezuela, si bien attirée par la découverte de nouveaux horizons qu’elle s’établira à Paris où elle épousera un exilé chilien et donnera naissance à Cristobal, avatar de l’auteur. Nourri des cosmogonies familiales, celui-ci prendra la plume, non pas comme son grand-père pour une histoire d’amour entre un homme et une femme, mais pour l’histoire d’amour « d’un homme pour un pays ». Pour « parler du monde qu’il avait entendu. Raconter ce qu’il avait vu dans la nuit des oiseaux de Maracaibo. Garder l’empreinte de l’air. Il fallait qu’il reste de ces récits autre chose que des paroles, des mots fugaces qui se passaient de génération en génération, de bouche en bouche, autre chose que des broches en or et des souvenirs ébréchés. » « Gravir le talus des songes. Boire à la racine. »

C’est ainsi qu’inséparable de celle, mouvementée, du Venezuela, cette histoire familiale étirée sur trois générations bouillonne si bien entre fantasmes et réalités, dans une fièvre hallucinée renvoyant aux codes du réalisme magique, qu’elle déploie de part et d’autre de l’Atlantique une authentique mythologie, un chant homérique qui chatoie des mille broderies venues colorer la mémoire à mesure de sa transmission. De ce foisonnement fantaisiste émerge une sorte de réalité augmentée, hologramme d’un autrefois passé au filtre de la légende et du songe, où il arrive que l’on croise les silhouettes, devenues familières aux lecteurs fidèles de l’auteur, de personnages apparus dans ses romans précédents.


Tout juste couronné du Grand prix du roman de l’Académie française, un ouvrage singulièrement enchanteur et poétique, reflet d’une mémoire familiale sans doute d’autant plus élevée à l’état de légende qu’elle s’est retrouvée confrontée à l’hydre de la dictature vénézuélienne et à l’exil.


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Cannetille
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le 30 oct. 2024

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