Le libéralisme, ce n'est pas ce qu'on croit. En tout cas, ce n'est certainement pas la politique que nous sert actuellement le président. Le libéralisme, je crois, c'est une clef pour tous ceux qui se méfient des superstructures qui prétendent gouverner à la place de l'Homme et pour son bien. C'est donc une philosophie profondément individualiste, et humaniste : elle place l'Homme au centre, et cherche les moyens de développer son autonomie, c'est à dire sa capacité d'action, au maximum.
Pour autant, et contrairement aux caricatures, elle ne nie pas la possibilité de coopérations entre les individus, au contraire. Elle prévoit simplement des mécanismes de régulation pour préserver les libertés individuelles, placées au dessus de tout le reste. Un Etat (minimal, centralisé) doit être mis en place pour les garantir.
Je noterai toutefois trois écueils importants dans la réflexion développée par Gaspard Koenig (au-delà de mes désaccords ou doutes sur certains aspects du libéralisme en lui-même).
La foi en le marché. Ça fait longtemps que l'on sait que le marché naturel et auto-régulateur est un mythe. Tout marché est construit, et il faudrait intégrer ça dans la doctrine libérale pour pouvoir penser sa construction au delà de l'idée simpliste que "moins il y a de règles, mieux c'est". En fait, c'est comme dans l'autre domaine de prédilection du libéralisme, à savoir les institutions politiques : il faut trouver un compromis entre les règles à développer pour protéger et celles qui créent des dominations.
Le solutionnisme technologique. Il faut être aveugle pour ne pas voir que l'ère où internet était une force libérale est révolue. Les grands monopoles, les Etats et les intérêts constitués ont repris le contrôle. Internet était une révolution libérale, et la théorie libérale n'a pas su s'en saisir. Il faudra le faire, même si ça nécessitera sans doute de revenir sur la sacralité de la propriété (ce que Gaspard Koenig esquisse dans son introduction).
La non prise en compte de la nécessaire transition écologique. D'accord, le livre a été publié en 2015, mais il est quand même saisissant de constater l'absence totale de cette question. Si elle veut être une théorie utilisable au 21ème siècle, le libéralisme doit pouvoir expliquer comment la maximisation de l'autonomie de l'individu peut être compatible avec la préservation du milieu.
Il faut actualiser la philosophie libérale, et pour cela il faut l'actualiser et en refaire un outil de contestation, plutôt que de laisser les politiques mainstream actuels (libéraux ou antilibéraux) l'utiliser pour préserver le système de domination. Gaspard Koenig va dans cette direction je crois, mais trop timidement.
Extraits.
"Vous trouverez toujours un économiste de renom au soutien des thèses les plus fantasques, et des chiffres irréfutables pour présenter des politiques injustifiables. Preuve que ce sont les valeurs qu'il confronter, non les mécanismes."
p. 15
"Nous abandonnons les rênes de la société à des techniciens à la vue trop courte, et le monopole de la pensée à des lettrés aux mains trop propres."
p. 23
"Le philosophe libéral ne se contente pas d'interpréter le monde, mais ne prétend pas non plus le transformer : il veut lui donner les moyens d'évoluer."
p. 23
"les pères du libéralisme - Mill et Constant - veulent un degré maximum de non-interférence compatible avec un minimum d'exigences sociales [demande extrême qui n'a jamais été formulée que par] une petite minorité d'êtres humains hautement civilisés et égocentrés." Isaiah Berlin
p. 39
"La propriété essentielle de la société primitive, c'est d'exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c'est d'interdire l'autonomie de l'un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c'est de maintenir tous les mouvements internes qui nourissent la vie sociale, dans les limites et dans la direction voulue par la société." Pierre Clastres, La Société contre l'Etat
"La société sans Etat, la société contre l'Etat, c'est aussi la société contre l'autonomie, la société comme totalité indépassable, où chacun porte dans sa chair les marques de l'appartenance au groupe [...] Renoncer au pouvoir central, c'est aussi renoncer à Soi, et à accepter la brutalité inouïe du Nous."
p.47
"Je me figure la loi au centre d'un globe immense ; tous les citoyens sans exception sont à la même distance sur la circonférence et n'y occupent que des places égales" Sieyès
"Le marché permet au globe de tourner ; le droit lui assure un centre fixe."
p.53
Commentaire du second traité du gouvernement civil (1690) de Locke :
"L'homme se rend propriétaire des choses par son travail. Il va s'approprier [son terrain] en labourant, plantant, cultivant. Ainsi, il est "en lui-même le grand fondement de la propriété", à mesure qu'il crée de la valeur. Posséder, c'est transformer, et se transformer par la même occasion. La propriété ne naît donc pas d'une injustice mais crée la nouveauté. Ce n'est pas une soustraction mais une addition. De l'interaction entre l'individu et les choses naït une autonomie plus large, où on se retrouve "augmenté" de toutes ses possessions [...] Le même phénomène d'appropriation qui justifie la propriété en restreint l'accumulation. Les choses ne nous appartiennent que si l'on peut en faire usage."
"Dieu n'a rien fait pour l'Homme afin qu'il le gâche ou le détruise." Locke
"Tout ce qui est au-delà est plus que sa part et appartient aux autres." Locke
"Le choix n'est pas entre "le marché" et "l'intérêt général", "le privé" et "le public". Le choix est entre l'autonome et l'hétéronomie."
""servir L'Etat" au lieu de "servir le citoyen". Cette expression devrait être bannie de notre vocabulaire."
"La grande illusion, c'est de penser que les élections devraient servir à départager une demi-douzaine de plans différents. [...] La question démocratique, ce n'est pas le choix du Plan, c'est son existence même."
"Le corollaire naturel de l'obsession du sur-mesure, c'est la nécessité de prendre, avec une frénésie sans précédent, la mesure de soi-même."
"Le monde se pliera à nos caprices [...] quoi de plus démocratique ?"
"La voiture devient autonome [...] en même temps que son conducteur cesse de l'être."
"La fin du travail s'accompagne logiquement de la remise en cause de la propriété, remplacée par celle d'usage. On ne peut disposer gratuitement des choses qu'à condition d'en être l'utilisateur provisoire."