Mauricienne, avec des parents d'origine indienne, Ananda Devi écrit dans un français magnifique où poésie des images et crudité des mots (parfois) s'unissent pour déployer une langue parfaite pour un conte, tel Le rire des déesses, qui n'oublie pas d'évoquer, avec un réalisme douloureux, la situation de deux communautés invisibles en Inde : les prostituées et les hijras. L'héroïne du roman, âgée de 10 ans, est née d'une mère qui vend son corps et son existence, misérable, ne laisse que peu d'espoir quant à son avenir, jusqu'à ce qu'elle soit sortie de la fange par un homme saint, néanmoins client des plaisirs tarifés. Le livre d'Ananda Devi raconte une histoire de femmes dans un monde qui les traite sans égards, surtout si elles font commerce de leurs charmes ou représentent un troisième sexe, honteux aux yeux des bien-pensants. A sa manière, Le rire des déesses, est aussi une sorte de thriller qui se pare de couleurs étranges et fantasmagoriques et dont le dénouement a lieu, symboliquement, à Bénarès, la ville des brasiers humains, là où le grand fleuve purifie. De plus en plus resserré narrativement, le livre agit comme un sortilège, où l'on tremble pour une fillette, où l'on applaudit des femmes solidaires, où l'on maudit des hommes hypocrites, dévoyés et lubriques. Les déesses riront encore et le Gange poursuivra son cours, indifférent à la dérisoire condition humaine.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset.