Jusqu’ici persécuté pour sa silhouette contrefaite, le jeune Nicolas est engagé comme fou du roi Louis XII. Rebaptisé Triboulet en référence à son vécu de souffre-douleur, affublé des couleurs jaune et vert des bannis, d’un chapeau à grelots et d’une marotte faisant office de sceptre, le voilà propulsé de la fange aux fastes de la Cour du XVIe siècle à Blois. Censé amuser le monarque par ses pitreries, le bouffon du roi gagne aussi l’exclusif privilège de pouvoir s’exprimer sans filtre et sans inquiétude, sa « folie » l’exonérant de la servilité courtisane de rigueur dans l’entourage royal. Reconduit dans ses fonctions par le jeune François 1er, Triboulet s’illustre par son esprit et son insolence, jusqu’à ce qu’une ultime plaisanterie ne le fasse tomber en irrémédiable disgrâce…


Curieuse position que celle de bouffon de Cour, comme exclu du commun des mortels par sa difformité, réduit à un état de jouet suffisamment ridicule et inconséquent pour ne susciter qu’indulgence et amusement, et, au final, familier du roi comme bien peu, seul à pouvoir renvoyer leurs quatre vérités aux Grands de ce monde qu’il lui est loisible de railler et d’insulter sans qu’il ne lui en cuise, avec une liberté d’expression et de jugement dont on peut d’ailleurs douter qu’elle existe encore de nos jours… C’est donc avec un certain ébahissement que l’on découvre cette biographie romancée à partir des quelques éléments historiques connus, mais aussi des vers de Clément Marot et de l’Eloge de la folie d’Erasme. La légende a rapporté quelques bons mots et reparties de Triboulet – ou des Triboulet, on ne sait pas, puisque plusieurs fous du roi portèrent ce nom -, certains franchement rabelaisiens, d’autres témoignant d’un formidable sens de la réplique, et l’on s’amuse souvent de bon coeur de tant de percutant à-propos.


Protégé par son irresponsabilité supposée, Triboulet n’en vit pas moins sur la corde raide de la faveur royale, au-dessus du gouffre haineux où confisent les puissants du royaume. Enragés par le pouvoir qu’à ce faquin de faire rire le roi à leurs dépens, tous n’attendent que de réduire l’insolent en charpie au premier signe de disgrâce. Et, fatalement, après maints chancellements rattrapés par un bon mot, vient un jour où le roi ne rit pas, par peur de déplaire à la favorite en titre. Plaisir d’amour est plus fort que joie d’humour… C’est la dernière tocade amoureuse du roi qui l’emporte !


Enlevé et facétieux, d’une lecture fluide et agréable, ce roman historique pointant le déstabilisant pouvoir du rire et la tentation des puissants de l’encadrer, entre forcément en résonance avec l’expérience d’humoriste de l’auteur. Comment ne pas penser au poids toujours plus grand du politiquement correct de nos jours, alors que le contrôle croissant du langage et les multiples auto-censures que nous nous imposons ne cessent de corseter davantage la libre expression ? Et bien sûr, comment ne pas frémir quand certains paient aujourd'hui de leur tête le prix d’une poignée de caricatures ?


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Cannetille
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le 24 janv. 2022

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