Pour tout dire, je n’avais pas vraiment prévu d’écrire quoique ce soit sur Pierre Michon, je me le réservais précieusement comme une combe ou un joli point d’eau que l’on craindrait de rendre fréquenté si l’on venait à trop ébruiter son existence. Mais cessons de nous voiler la face, Pierre Michon est bien loin d’être cet écrivain « minuscule » dont les textes relèveraient du secret, transmis cérémonieusement par un bouche à oreille quasi mystique. Il est déjà massivement salué par la critique et les prix, et l’on se dit tous qu’il figure parmi les noms que cette vieille carne de postérité ne devrait oublier.


Auréolé de grâce avec et depuis la publication de ses Vies Minuscules, que lui-même considère comme le miracle qui l’a sauvé d’une vie passé dans l’impuissance littéraire et bien proche de la misère, Michon demeure sans doute aujourd’hui le moins célèbre des écrivains reconnus. Moins célèbre car encore nimbé d’une aura de discrétion, voire de pudeur (du fait d’un très faible nombre de publications), et reconnu car consacré par bien des lecteurs, pairs, instances en tout genre (prix Décembre, prix de l’Académie française, prix France Culture, prix Goncourt, meilleur artisan boulanger, plus beau village de France, the Voice 2016…). Mais plutôt que de tartiner un énième commentaire sur ses sublimes Vies Minuscules ou de bifurquer du côté de la Grande Beune, je me suis décidé à parler de Michon lui-même, et qu’elle meilleure matière que ses entretiens, rassemblés dans Le Roi vient quand il veut.


Le rapport de Michon à l’écriture est en lui-même matière romanesque. Ayant grandi dans la campagne creusoise, Michon évoque la découverte de la littérature par des lectures professorales d’extraits de Salammbô et de vers de Hugo, auxquels il ne comprenait bien entendu rien, mais dont le mystère des mots l’a profondément marqué. La littérature lui apparaît ainsi comme un objet quasi-mystique mais difficilement accessible, et cette distance vis-à-vis du texte va profondément forger son rapport à celui-ci. Malgré des études de lettres, et un mémoire sur Artaud, avorté pour cause d’un mois de mai 1968, Michon conserve un sentiment d’illégitimité face à la littérature, sentiment qui va se traduire par une impuissance totale à écrire. C’est seulement à l’âge de 38 ans, après d’obscures années, qu’il parvient enfin au miracle et rédige ses Vies Minuscules. Il entre ainsi en littérature en défonçant la porte et s’y voit comme un joyeux imposteur. Malgré le succès (certes pas immédiat) de ces vies, l’idée d’un insurmontable le hante toujours, et il se sent incapable de sortir de ce premier texte (et juge d’ailleurs que ses œuvres postérieures sont à des notes de bas de page des V.M). Son rapport à la littérature est en cela tout particulier (quoique), partagé entre une croyance profonde, pour ne pas dire une foi, en celle-ci et un mépris envers son ridicule et l’importance qu’elle se donne. Il le formule lui-même, en général il ne croit pas en la littérature, et lorsque c’est le cas, il écrit. L’écriture en elle-même devient une forme de sacré (son œuvre en regorge), une force transcendante mais qui obéit à ses propres règles : le Roi vient quand il veut, ce roi, c’est le texte. L’ensemble de son œuvre peut ainsi se lire à travers le filtre du « passage à l’acte », faisant de tout individu « minuscule » (c'est-à-dire tous sauf les grands écrivains) un « grand auteur méconnu qui n’est jamais passé à l’acte (ce qu’il dit à propos de sa mère).


"On me disait aussi qu'à Paris m'attendait, peut être une manière de guérison ; mais je savais hélas que si j'y allais proposer mes immodestes et parcimonieux écrits, on en démasquerait l'esbroufe, on verrait bien que j'étais en quelque façon "illettré""


J’aime chez lui cette brièveté absolue du texte (Michon se revendique en cela de Borges, de Schwob), comme un roman à l’os, épuré à l’extrême sans jamais paraître minimaliste. J’aime sa manière de considérer les « vies minuscules », sans condescendance ni sentimentalisme plat, car ce qui est montré, c’est tout excepté des « petites gens », ce sont bien au contraire, de petits saints des campagnes. J’aime enfin et surtout, son style puissant et ciselé, son goût exigeant du rythme et du mot juste qui, s’il rappelle l’ami Flaubert, ne sombre pourtant jamais dans un passéisme qu’on tente bien trop de lui coller à la peau.


"Ces mots m'étaient une Annonciation et comme une Annoncée, j'en frémissais sans en pénétrer le sens; mon avenir s'incarnait, et je ne le reconnaissais pas; je ne savais pas que l'écriture était un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l'Afrique, l'écrivain une espèce plus avide de se perdre que l'explorateur; et quoi'il explora la mémoire et les bibliothèques mémorieuses en lieu de dunes et forêts, qu'en revenir cousu de mots comme d'autres le sont d'or ou y mourir plus pauvre que devant-en mourir- était l’alternative offerte au scribe."

Mr_Chouette
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le 13 sept. 2018

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