Emmanuel Carrère est un ancien chrétien. Durant trois ans, il a suivi chaque jour l’office religieux dans l’église près de chez lui. Sa période mystique est, d’après lui, terminée et aujourd’hui, il reprend les cahiers qu’il écrivit à l’époque pour se moquer de sa prose. Condensé d’ironie et de sarcasme.
La première partie du livre devenait fort dérangeante quand Emmanuel Carrère changea son fusil d’épaule et entreprit de nous brosser un tableau des premières heures du christianisme. On quitte le Paris des années 1990 pour atterrir au Proche-Orient en 50 de notre ère. Le Christ est mort vingt ans plus tôt, Paul – l’évangéliste – a été touché par la grâce et devient brusquement démarcheur à domicile : de porte en porte, Paul annonce la bonne nouvelle.
Sous couvert d’étudier pour nous les Epîtres de Saint-Paul, l’auteur nous fait l’Evangile selon Emmanuel Carrère. Visiblement, il n’est pas totalement débarrassé de ses anciennes convictions. Parce qu’il a été chrétien fanatique trois ans, parce qu’il a beaucoup lu de textes religieux et profanes datant de cette époque lointaine, il se permet de commenter, d’énoncer des vérités et des contre-vérités. Et de boucher des trous obscurs laissés empreint de mystère par des générations de théologiens et autres historiens. On a de la chance : on lit un gars plus malin que les autres. On a bien fait de prendre son bouquin et pas celui d’un autre.
Pourtant le propos aurait pu être intéressant si l’auteur m’avait permis de distinguer l’Histoire de la Superstition (que le commun des mortels considère comme une Religion). Je n’ai rien contre la mythologie – je me suis plongé avec délice dans la grecque puis dans la romaine – mais le propos de Carrère me semble confus, tantôt sérieux, tantôt humoristique. Parfois critique, sans commune mesure toutefois avec l’iconoclaste portugais José Saramago dont les livres ont pour moi tant de saveur.
Emmanuel Carrère suit les traces de Paul. Au fil des pages, le personnage n’apparaît pas à son meilleur jour. Un tantinet autoritaire, pas très tolérant. Buvez mes paroles, n’écoutez pas celles des autres. Onfray le décrit d’ailleurs comme un nabot imbu de lui-même, laid comme un pou, qui a largement étalé sa misogynie dans ses lettres pour se venger de son insuccès auprès des femmes. Carrère le dit également impuissant : sa circoncision sauvage (pour paraître plus juif que le juif) aurait été une véritable boucherie et aurait un peu abîmé le matériel masculin.
Même si je ne savais plus à quel saint me vouer, à différencier le bon grain de l’ivraie, je pensais œuvrer pour ma culture générale. Je m’accrochais, croisais Luc, Jacques, Marie de Magdala, assistais à la Cène, à la Résurrection.
Malgré une écriture vivante, alerte, sympathique, je cherchais malgré moi un prétexte pour bazarder cette prose, tantôt prosélyte, tantôt bouffeuse de curés. Les continuelles digressions d’Emmanuel qui, à tout propos tirait la couverture à lui en reprenant l’histoire de sa vie, commençaient à m’emmerder grave ! Quand, sans qu’on y soit préparé, notre guide changea une nouvelle fois de direction. Laissant le tombeau vide du Christ, l’auteur nous dit aimer visiter les sites pornos sur internet. Quel rapport avec la découverte du miracle me demanderez-vous ? Aucune idée. Je poursuivis ma lecture espérant découvrir un lien mais n’apprendrais que les préférences de l’écrivain. Monsieur Carrère en pince pour les chattes poilues. Les pubis rasés lui apparaissent trop professionnels. Ce qu'il aime, ce sont les femmes qui se filment en amatrices, celles qui ne simulent pas, qui ne jouent pas un rôle. Celles qui ne jettent pas un clin d’œil aguicheur à la caméra. Durant trois ou quatre pages, il nous décrit crûment sa dernière trouvaille : une belle brune qui, sur son lit, se masturbe et atteint l’orgasme par deux fois. Je ne nierais pas la volupté de la scène que je visualisais. Mais je ne parvenais pas à comprendre l’intérêt de ce chapitre dans un tel livre. Enfin si : je tenais enfin le fameux prétexte que j’attendais depuis 100 ou 150 pages. Grace à cette excitante demoiselle, je referme définitivement le livre aux deux tiers de sa longueur, légèrement émoustillé et heureux de pouvoir passer à autre chose.
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