En lisant Le Royaume je me faisais la réflexion que ce sont souvent les athées ou les agnostiques, comme se définit lui-même l’auteur, qui parlent le mieux de la religion.
Leur ton est souvent objectif, ils ne négligent pas l’humour qui naît d’une juste distance avec le sujet , et ils voient avec souvent une grande justesse ce que d’aucuns plus impliqués ou convaincus ne voient pas ou négligent.
« A un moment de ma vie, j'ai été chrétien. Cela a duré trois ans, c'est passé.
Affaire classée alors? Il faut qu'elle ne le soit pas tout à fait pour que, vingt ans plus tard, j'aie éprouvé le besoin d'y revenir.
Ces chemins du Nouveau Testament que j'ai autrefois parcourus en croyant, je les parcours aujourd'hui - en romancier? en historien?
Disons en enquêteur. »
Donc, il va chercher, à travers un voyage érudit aux temps des premiers chrétiens, de « tenter d'approcher au plus près de cette frontière, sans la franchir : l'endroit où les gens croient. » dit-il dans un entretien. Mêlant intiment son vécu à l’Histoire, lui redonnant ainsi une vie qu’on pourrait avoir tendance à oublier. Nous assistons ainsi, comme si nous y étions, par-delà les recréations de l’Histoire ( non, les juifs ne se sont pas tant que cela opposés au christianisme naissant…) à la naissance d’une religion réformatrice et résolument moderne qui va progressivement s’imposer.
La figure de Paul, véritable fondateur de l’Eglise au 1er siècle, est humanisée, on se sent très proche du Christ à travers lui comme si le passage par le romanesque, au lieu de nous éloigner de la réalité historique, nous rendait une réalité perdue. C’est le même mécanisme qui rend les romans qui relatent une expérience extrême plus vrais que ne l’auraient été de simples récits de l’expérience vécue. Ca a été le choix de Chalamov racontant sa vie dans le goulag de la Kolyma ou Primo Levi racontant ce qu’il avait vécu dans les camps nazis. Certes, ces deux exemples proposent des expériences extrêmes dans l’horreur , le roman de Carrère prouve que le mécanisme est le même pour cette expérience extrême s’il en fut de la naissance du christianisme au sein de l’empire romain.
Et ce n’est pas un croyant qui nous rend le Christ aussi vivant ; ce n’est pas un homme d’église qui nous décrit la construction miraculeuse de l’Eglise …
En tous cas, il ne se définit plus ainsi. Là se trouve me semble t’il une vraie question de notre époque. Dans une société hyper laïcisée où la perte de la foi est une réalité toujours grandissante, il semblerait que le discours du croyant, et encore plus le discours du clergé, n’est plus vraiment audible ni compréhensible. On s’en méfie, son engagement heurte souvent ou au mieux on l’écoute avec condescendance comme une vieille rengaine dont on connaît tellement les paroles qu’elles ne parviennent plus vraiment à la conscience. Quand il n'inspire pas une haine étrange venant de gens qui reprochent à la religion ses soi-disant excès envers l'être humain...
Alors, ceux qui fuiraient en hurlant si on leur proposait de lire les Evangiles ou de s’intéresser à l’histoire de l’Eglise peuvent trouver Le Royaume très attrayant, sans aucune mauvaise conscience. Ils pourront aussi comprendre combien humains étaient les hommes qui ont développé un message d’une portée sans précédent.