Seconde oeuvre étudiée cette année, le tome 3 des mémoires de guerre de Charles de Gaulle a été sujet à controverse dans le milieu de l'éducation: de Gaulle est-il un écrivain ? Je répondrai qu'on s'en fout (oh !!), le but du cours de littérature, en opposition au cours de français, étant d'étudier en profondeur les grandes idées transmises par une oeuvre dans sa globalité, et non l'écriture elle-même, très secondaire. Bon, je ne nierai pas que la première lecture du Salut est très difficile, le style de de Gaulle étant extrêmement dense, et le grand bonhomme souffrant de listomanie (c'est un peu le @Torpenn des mémoires, si je puis me permettre).
Mais venons-en au fait.
Si la lecture des mémoires est quelque peu pénible, elle n'est pas inintéressante pour autant: c'est un contact intime (oh !!!) avec une figure quasi-mythologique de notre Histoire, Histoire qui prend tout à coup une dimension plus concrète. Car les cours d'histoire paraissent inexorablement lointains, comme le récit d'une réalité autre, les hommes devenant personnages et les évènements une "fumée de l'imagination", alors que le récit des mêmes évènements par un des principaux acteurs les rapproche de nous, et surtout donne aux figures historiques un visage humain. Les passages les plus intéressants du Salut sont justement les portraits que fait de Gaulle de Churchill, de Staline, et d'autres politiques importants de l'époque. L'épisode de la visite du général en URSS est absolument passionnant, et la description de Staline est autrement plus forte que les insipides biographies des livres scolaires.
Le Salut est une oeuvre très intéressante à étudier (pour peu qu'on ait un bon prof...) par l'étendue des thématiques qu'elle couvre: la politique intérieure et extérieure, les derniers combats menés lors de la Libération, la joie précaire d'une France libérée mais appauvrie au possible. Le style de de Gaulle, par ailleurs, n'est pas dénué d'intérêt littéraire: chaque fin de chapitre quitte l'austérité des compte-rendus et des listes pour devenir quelque chose de plus personnel ; le finale du livre touche presque à de la prose poétique et se détache complètement du reste.
Seulement voilà, les Mémoires de Guerre on été publiés entre 1954 et 1959, c'est-à-dire avant et pendant le retour de de Gaulle à la tête du gouvernement. Et ça se voit. Tout le livre souffre du défaut majeur de servir le projet politique du général: rassembler tous les français sous l'égide d'un chef. Alors tout le long du bouquin, on trouve une constante orientation des faits relatés: les victoires militaires françaises sont glorifiées, celles des Alliés diminuées. De Gaulle met en avant l'efficacité de sa politique intérieure tout en soulignant l'incompétence du législatif, alors tout-puissant sous la IVème, il parlera même de "vase parlementaire" et ne manquera pas de descendre en flammes les politiques qui ont pensé à l'avenir de leur parti avant celui du pays (LeBrun, Herriot). Enfin, et on lui en voudra pour ça, de Gaulle ne parle pas ou très peu de la politique de Vichy et des crimes de l'épuration, cherchant à faire oublier aux Français les petites affaires qui pourraient les diviser.
Une oeuvre contestée pour les mauvaises raisons, donc. C'est une lecture que je recommande à tout curieux de de Gaulle.
Dommage que ce ne soit finalement qu'un programme politique bien camouflé en vue de 1958.