Ben non ! Ce n’est pas un roman, ce bouquin… c’est une tranche de vie. Pour ne pas dire "une tranche de mort" … parce que des morts, il y en a un paquet dans ces pages…
Ça commence fort : dans la petite ville de Charon, en Virginie (US), une fusillade a lieu dans un lycée où un jeune vient d’abattre un prof !
Vu depuis l’Hexagone, ça n’a rien d’exceptionnel ! On a presque l’impression que c’est monnaie courante, outre-Atlantique.
Non mais l’auteur, S. A. Cosby, s’en est donné à cœur joie… je le soupçonne d’avoir quelques comptes à régler !
Shawn A. Cosby, est un romancier américain, né en 1973 dans le Comté de Mathews en Virginie. Il a grandi en milieu rural, à proximité de Richmond, ancienne capitale de la Confédération sudiste, en Virginie. Il est allé à l'école primaire Lee-Jackson, nommés d'après deux soldats confédérés – vous voyez où je veux en venir ? – Il a été élevé dans une famille pauvre, dans une modeste caravane mais a fait des études à l'université Christopher Newport.
Il a écrit cinq nouvelles et autant de romans qui lui ont valu le Prix Anthony 2019 de la meilleure nouvelle et le Prix Barry 2021 du meilleur roman.
Alors, où voulais-je en venir ? À notre méconnaissance de l’Histoire et de la géographie américaine. Enfin, je parle pour moi !
Quand je regarde une carte des États-Unis, je ne m’imagine pas que la Virginie soit un État sudiste. Pour moi, ils se limitaient, en gros, au Texas, à la Louisiane, au Mississippi, à la Floride et, peut-être, la Caroline-du-Sud (à cause du Sud). Un petit rappel s’impose :
La création des États confédérés fut une réaction politique à une volonté de réforme de l'esclavage par le gouvernement fédéral après qu'Abraham Lincoln fut élu président en 1860 en s'appuyant sur un programme opposé à l'extension de l'esclavage qui opposait deux cultures américaines, celle du Nord, plus industrialisée, à celle du Sud, dominée par l'agriculture basée principalement sur l'esclavage.
Sept États esclavagistes du Sud choisirent de faire sécession des États-Unis avant de former les États confédérés d'Amérique le 4 février 1861 : la Caroline du Sud, le Mississippi, la Floride, l'Alabama, la Géorgie, la Louisiane et le Texas. Ce qui pousse le gouvernement fédéral à déployer des troupes pour mettre un terme à la mise en place du nouvel État, marquant ainsi le début de la guerre de Sécession qui ne prendra fin qu’en 1865.
À la suite de l'appel à la mobilisation du président Lincoln, quatre autres États et un territoire firent sécession ; la Virginie, l'Arkansas, le Tennessee, la Caroline du Nord ainsi que l'Arizona confédéré. Puis le Missouri et le Kentucky.
Cent-cinquante ans plus tard, dans ces anciens États confédérés, la plaie est toujours ouverte : les habitants sont les descendants d’esclaves ou des esclavagistes. Ils sont ou noirs, ou suprémacistes blancs.
Un petit tour du côté de « Contre-Histoire des États-Unis » de Roxanne Dunbar-Ortiz est assez édifiant :
https://www.senscritique.com/livre/Contre_Histoire_des_Etats_Unis/critique/172222444
Revenons en Virginie. État esclavagiste qui comptait plus de 30 % d’esclaves dans sa population en 1861, où aujourd’hui encore, le racisme "bat son plein" ! Alors imaginez un moment la fusillade du lycée : un professeur BLANC, aimé de tout le monde, abattu par un jeune NOIR à l’esprit perturbé, lui-même mortellement blessé, à la porte du lycée, par deux adjoints BLANCS du chérif, lequel est le tout premier chérif NOIR du Comté, ami des parents (noirs) du tireur ! Quel micmac…
« Dans le long silence qui s’installa, Titus perçut la vision du monde manichéenne à laquelle adhérait son adjoint : un méchant avait tué un gentil, puis d’autres gentils avaient tué le méchant. Qu’y avait-il à éclaircir ? Titus aurait vraiment aimé que les choses soient aussi simples. »
Mais, me direz-vous, comment se fait-il qu’une population si raciste ait élu un chérif noir ? Parce que Titus, le chérif, n’est pas n’importe qui ! Enfant du pays, il a quand même une expérience de dix années au FBI, et son père, particulièrement croyant a su convaincre le pasteur de sa congrégation de mobiliser ses fidèles en faveur de son fils… Ça marche comme ça, là-bas, les multiples églises ont une grande influence.
Bon, mais vous vous doutez que la tâche de Titus ne va pas être facile, d’autant que l’enquête va révéler des faits qui vont bouleverser les certitudes de tous, raviver des haines et plonger toute la région dans une psychose mortifère car les cadavres continuent à s’accumuler dans un super-concours à la mutilation sauvage !
Mais ne comptez pas sur moi pour vous en dire davantage.
Installez-vous confortablement et lisez le bouquin. Vous ne craignez rien, ça se passe de l’autre côté de l’Atlantique. Tout ce que vous risquez c’est d’y passer la nuit… les pages se suivent à un rythme effréné et on a de cesse de connaître la suite. Je serais tenté de dire que l’on se perd un peu au milieu de la multitude de personnages, mais ce ne sont pas des personnages. Ce sont les habitants d’une ville, et monsieur Cosby nous plonge au cœur de cette communauté avec une réalité de détails qui donne vie à son univers. Bravo !
P.S. : Au fait, vous ai-je précisé que S. A. Cosby est Afro-américain ?