Le roman sans mur invisible
Les joueurs de jeu video savent sans doute ce que sont les murs invisible. Imaginez: vous dirigez un personnage qui marche le long d'un chemin dans un paysage enchanteur. Soudain, vous décidez de quitter le chemin, et orientez votre personnage vers un château qui surmonte une colline au loin. Mais après quelques pas, votre personnage cesse d'avancer: il se heurte à une sorte de mur invisible. Pourquoi ? Parce que le concepteur du jeu n'a pas prévu que vous alliez là-bas. Aussi, ce château au loin n'existe pas; il fait partie du décor, un décor certes superbe mais que vous n'êtes pas censé visiter.
Dans la plupart des romans de Fantasy, j'ai l'impression moi-aussi de me heurter à des murs invisibles. En effet, l'auteur a imaginé une intrigue, puis il a créé des personnages qui seront les acteurs de cette intrigue; puis il a créé un univers fantastique où vivront ces acteurs, et enfin, afin de donner un "background" à ce monde, il a écrit une Histoire qui est une liste de faits passés en rapport avec l'intrigue. Mais le résultat d'un tel processus de création, c'est juste un monde limité, simple décor de l'intrigue, sans épaisseur, dont les éléments semblent n'apparaître qu'au moment où l'intrigue en a besoin. Sa vastitude est artificielle, et on ne saura jamais plus que ce que l'auteur a jugé utile d'imaginer, car le reste n'existe pas - il est derrière le mur invisible.
Les romans de Tolkien obéissent à une autre logique. Tolkien n'est pas un romancier; c'est un professeur en langues anciennes qui, pendant 50 ans, a passé le plus clair de ses loisirs à créer des langues imaginaires. Et comme une langue n'a de sens que si quelqu'un la parle, il a créé des peuples fantastiques. Et comme il faut bien que ces peuples vivent quelque part, il a créé un monde, la Terre du Milieu. Enfin, pour expliquer les parentés entre ces langues, il a donné à la Terre du Milieu 7000 ans d'Histoire. Mais il a fait ça pour lui, sa famille, ses amis, sans objectif de publication.
Un jour, il écrit un livre pour enfants, et naturellement, il le situe dans son Monde. Ce sera "The Hobbit" ("Bilbo le hobbit" en français). Le livre a du succès, aussi son éditeur lui demande une suite. Tolkien développe alors une intrigue plus ambitieuse, si bien qu'il faut trois volumes pour la contenir; c'est "Le Seigneur des Anneaux".
Dans ce roman, Tolkien utilise logiquement une infime partie du monde qu'il a créé - la partie utile pour l'intrigue. Mais le reste de la Terre du Milieu, de ses habitants et de son Histoire transparait à chaque page, via des chansons, des contes annexes, des personnages secondaires ou des allusions à des faits passés, à des contrés lointaines. Et on sent que tout ces éléments ont une réelle épaisseur, qu'il y a bien plus à en dire que ce que l'auteur nous raconte, et qu'on pourrait sans doute découvrir tout cela si c'était possible - parce qu'aucun mur invisible ne pourrait nous arrêter.
C'est à cause de cela que les œuvres de Tolkien sont différentes: elles plongent le lecteur dans un Monde sans limite - ou presque. Et ce lecteur peut alors avoir deux réactions. Soit il se sent perdu devant le flot de faits, de lieux et de personnages à peine décrits dans lequel l'auteur le noie, et il abandonne sa lecture. Soit sa curiosité est excité, et il part alors explorer la Terre du Milieu et y découvre un monde d'une richesse incomparable qui va le marquer pour la vie.
Je fais partie de la seconde catégorie, aussi je souhaite à tout ceux qui n'en ont pas encore eut l'occasion d'aller eux aussi explorer la Terre du Milieu, avec Tolkien pour guide et les Hobbits pour compagnons.
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