Baker, petite ville de l'Amérique profonde, peuplée de poivrots, de bigotes, de xénophobes et autres bêtes de foire, donne naissance au prodige et personnage principal de cette histoire : John Kaltenbrunner. Son père décède prématurément, peu avant sa naissance, laisse une veuve inconsolable qui berce son fils par des souvenirs fantasmés d'héroïsme syndicaliste. L'enfant grandit dans cette atmosphère malsaine sachant pertinemment qu'il ne sera jamais à la hauteur. A l'école et en société il ne présente aucun don, au contraire il est plus que médiocre et désespère ses professeurs et sa mère. Par contre il remet la ferme familiale sur pied dès l'âge de 8 ans, avec un sens de l'organisation et une patience qui relèvent du génie. Malgré les brimades de ses camarades et les dénigrations maternelles, John continue de faire fructifier la ferme et d'aller de l'avant envers et contre tous. Jusqu'au jour funeste où sa mère tombe malade, il la charge dans sa voiture et essaye de l'emmener à l'hôpital mais son manque d'expérience au volant et sa taille font que le véhicule lui échappe rapidement. Il est arrêté par la police, soupçonnant un délit d'ivresse et sa mère transportée à l'hôpital. Une fois libéré il se rend à l'hôpital la voir et une fois de plus le sort se déchaîne contre lui, sans raison les malades et le personnel soignant se ruent sur lui et le roue de coups, juste parce qu'ils n'aiment pas sa tête. Quand il finit enfin par retrouver Mrs Kalten Brunner elle est déjà perdue, rongée par la maladie mais surtout aux griffes des "harpies méthodistes". Ces femmes bigotes se jettent sur les mourants pour racheter leurs âmes en revendant leurs biens à l'Église. John se retrouve petit à petit exproprié de chez lui et voit ses années de labeur dans la ferme dilapidées. Il devient fou et plutôt que de laisser la maison familiale aux mains de ces femmes il prend un fusil et met en pièce la demeure familiale. Même pour Baker c'est une piètre façon de commencer sa vie.

La vie de John est contée comme une véritable hagiographie, le narrateur a une distance pleine de respect et d'admiration pour son "saint", on ne connait d'ailleurs jamais son identité. Il aurait écrit ce récit d'après des témoignages de proches et des souvenirs racontés par le héros lui même. La ville de Baker, bien que proche de nous chronologiquement, ressemble à s'y méprendre au sud profond des romans faulkneriens, la télévision en plus. On y retrouve la même crasse, l'ignorance agressive et les ravages de l'alcool, nullement atténués par le progrès. Egolf a une prose incisive malgré des phrases souvent longues dont on peut perdre le fil, les mots sont choisis avec une précision d'orfèvre et on sent toujours une ironie latente. Le seigneur des porcheries est bien plus qu'une énième satyre de la société états-unienne, c'est une satyre de l'Homme en général, de sa bêtise incommensurable, exponentielle au nombre. On pourrait croire que c'est un livre de gauche, mais pour ma part je ne le trouve pas politisé, Egolf a l'intelligence de ne pas se servir de son roman un quelconque prosélytisme. Les différentes classes sociales ont chacune leurs sobriquets : les "citrons" (immigrés latinos), les "rats d'usine", les "trolls", les "trochecollines"(dont fait partie John) et les fameux "rats de rivière", un peuple presque mythique formé d'exclus de la société, consanguins illettrés et dangereux, qui vivent en communauté loin des villes qui n'ont d'humain que l'ADN. Le seul petit bémol qui ôte sa 5e étoile à ce roman c'est peut être un côté trop pompeux, comme si Egolf prenait un malin plaisir à glisser tout les adjectifs les plus abscons qu'il puisse trouver dans son livre, mais on lui pardonne volontiers!
Diothyme
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le 21 févr. 2011

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Diothyme

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