En 2007, pour introduire ses débuts dans les Lettres, Jaworski écrivait, dans la préface de Janua Vera :


"Ecrire, c'est régler ses comptes avec les lettres. C'est produire ce que les autres n'ont pas su dire, c'est dépasser les âneries des petits maîtres, c'est jouer des coudes pour se hisser au-dessus des palus encrottés de poncifs et de rabâchages - au risque de patiner et de se vautrer dans la mare la plus profonde. Ecrire, ce peut être aussi une reddition : c'est rendre hommage au livre qui vous a foudroyé, c'est dépasser sa jalousie pour s'inféoder, entrer dans une ligne ou dans une clientèle, s'affirmer dans une bande ou dans une brigade. C'est devenir courtisan ou hurler avec les loups."


Huit ans et cinq romans ou recueils plus tard, force est de constater qu'il ne s'est point vautrer, l'animal. Jaworski est devenu en quelques années l'un des Géants de l'Imaginaire francophone, l'un des chefs de file involontaire de ces Lettres si souvent méprisées par les sectaires de la Blanche, l'un de ces pionniers qui les tirent vers le haut, vers davantage de noblesse, à l'image des Damasio, Merjagnan, Noirez, Henry, Kloetzer, Beauverger, Platteau et autres Calvo. Toutes ses œuvres ont été salué unanimement pour leur qualité, et il y a fort à parier que "Chasse royale", parue cette année, sera elle aussi récompensé l'an prochain.


Avec "le sentiment du fer", Jaworski revient sur les terres de ses débuts, le Vieux Royaume. Comme un intermède au milieu de sa saga celtique "Rois du monde", on renoue avec délice avec ces premiers amours qui nous firent découvrir cette nouvelle plume à la fois féroce et virtuose, et ce nouvel opus ne déroge par à la règle. On retrouve, derrière ces nouvelles souvent grinçantes, cette volonté de sonder les noirceurs de l'âme humaine dans une langue fleurie. Le conteur fait mouche et nous ravit à nouveau. Extrait.


"Bon, avait repris le maître truand, parlons affures. Tu penses bien que je ne t'ai pas fait venir juste pour le plaisir de trinquer. Toute cette pétaudière, ça offre des opportunités. J'ai reçu commande d'un singe prêt à envoyer la soudure. J'ai tout de suite pensé à toi pour nourrir le marmot.
- Je suis flatté, don Paccatela. Il y a une bonne pelote à se fader, j'imagine ?
- Tu penses bien, mon frelot. Deux mille pour toi, deux mille pour moi, moins les frais de la Guilde.
- Cul de nonne ! Ça, c'est du velours ! Qui est-ce qu'il faut endormir ?
- Personne d'important. Le poupard, c'est pas un envoi. C'est une vendange."
Cuervo avait fait la moue.
- C'est pas trop ma boutanche, la grinche. Pour un coup comme ça, vous auriez plus besoin d'un faisandier ou d'un lézard.
- Je sais ce que je fais, mon vrai. Le machin à barboter est bien gardé ; il faudra sans doute passer le torchon. C'est pour ça que c'est si cher, et c'est pour ça que j'ai pensé à toi.
- Je demande à voir, rencardez-moi.
- Tu as entendu parler du comte de Floricans ?
- Un peu. C'est un de nos alliés contre le roi, non ? Celui qui s'est fait arquepincer à Montefellone ?
- Tout juste. C'est un grand poteau au sénateur Lucrosio Rapazzoni. Faut dire qu'il lui doit un paquet, au Rapazzoni. Nos deux rupins se caressent comme des girons. Avant la guerre, ils se lançaient des invitations, ils se faisaient des violettes. C'est un cadeau foncé par le comte à Rapazzoni qu'on doit calotter.
- C'est quoi, ce blinde ?
- Un bouquin (...). De la poésie."


Le ton est donné ; on rigole en coulisse, ça dépoussière nos dictionnaires, et la chute, toujours parfaite, n'en sera que plus savoureuse.


"Ecrire, c'est se colleter avec la mort. C'est défier sa propre finitude, c'est entreprendre son propre tombeau, c'est vendre son âme au public, pour mendier un petit supplément d'être. C'est mesurer sa faiblesse quand le temps devient court et que l'oeuvre, vorace, vous dévore, en vous escroquant avec des mirages d'immortalité."


Merci M. Jaworski ; vous y filez en ligne droite, vers ce panthéon des Géants.

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