Le Soleil des Scorta par lilikb
Ce roman retrace, sur cinq générations, le destin de la famille Scorta dans le village de Montepuccio au Sud de l'Italie. Luciano Mascalzone, à sa sortie de prison, retourne rendre visite à la femme qu'il a aimée mais qui lui a toujours été refusée . Mais, sans qu'il ne s'en rende compte, c'est la sœur de cette femme qui le reçoit dans la maison. De leur union naîtra Rocco, le premier des Scorta. Cette naissance atypique, basée sur une erreur, jettera comme une malédiction sur toute la famille. Une malédiction ? Pas sûr. Génération après génération, les Scorta sont mis à l'écart, pourchassés, tout autant qu'admirés par la population de Montepuccio. Cette marginalité en fait une famille au caractère entier, absolu, quasi-mythique. A chaque génération, ce sont les questions de l'amour, du travail, du rapport aux ancêtres, des funérailles, et surtout de l'honneur familial qui vont se poser aux membres de la famille. Ces thèmes, que Laurent Gaudé avait déjà mis en roman de manière très esthétique dans La mort du roi Tsongor, sont là aussi abordés de façon épurée et sobre, comme dans un mythe antique. On retrouve la beauté de la langue, pure, qui accompagne ces problématiques universelles. Dans Le soleil des Scorta tout de même, ces questions humaines sont placées dans un contexte spacio-temporel plus précis que dans La mort du roi Tsongor et c'est aussi le XXè siècle qui affleure dans l'histoire de cette famille italienne. Le rapport de la famille aux différents curés successifs de Montepuccio est très intéressant : l'auteur questionne sans cesse la place de la religion et du clergé dans la vie d'une famille marginale au sein d'un petit village où la réputation de chacun est une chose importante. Le récit chronologique de l'histoire de la famille est rythmé par la confession de Carmela, l'une des Scorta devenue vieille, au curé de Montepuccio. Cette confession est l'occasion de nombreux retours en arrière qui éclairent l'histoire des Scorta.
Cependant, ce roman manque un peu d'audace par rapport à La Mort du roi Tsongor, qui abordait les mêmes thématiques avec un degré de beauté supérieur. Le fait de placer l'action dans un espace-temps précis enlève un peu de cette sobriété que l'on retrouvait dans le précédent roman, qui pouvait aussi bien faire songer à une tragédie antique qu'à un conte africain, et qui tirait sa puissance de cette absence de lieu et de temps. Au niveau de l'écriture également, même s'il convient de saluer un style maîtrisé et de très beaux passages, on remarque aussi que certaines parties du livre sont un peu emphatiques : leur envie de donner dans le "magistral" est trop insistante. C'est le cas de certains passages où les personnages s'interrogent sur le bonheur, sur la vie ou sur la mort. La construction narrative, basée sur un récit chronologique entrecoupé des confessions de Carmela Scorta, laisse également un goût de "non terminé" : on s'attend en effet à ce que la vieille Carmela fasse une révélation qui éclaire l'ensemble du roman. En fait, cette construction narrative est, semble-t-il un peu "plaquée" et n'aboutit pas vraiment. Néanmoins, dans l'ensemble, on s'attache vraiment à ces personnages dans leur lutte pour créer une vie à la hauteur de leur lignée, dans les relations qu'ils tissent entre générations, dans leur envie de donner le meilleur pour les Scorta.