« Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous possédons le silence, sinon le repos. Enfin, la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. » Recueil de poèmes en prose publié de façon posthume en 1869, le ‘Spleen de Paris’ apparaît comme une œuvre singulière, spécifiquement baudelairienne dans sa volonté de dépeindre Paris, cette ville énorme, mystérieuse « dont le charme infernal me réjouit sans cesse ». Si la plupart des thèmes des ‘Fleurs du Mal’ sont repris dans ce recueil — le crépuscule du soir, l’invitation au voyage, la chevelure évocatrice des rêves — il y perce plus que d’ordinaire la passion que portait Baudelaire à l’architecture urbaine, qui modèle et affecte profondément les rapports humains à son contact. De nombreuses passerelles peuvent être empruntées, qui lient entre eux ces deux ouvrages. On note cependant dans le ‘Spleen de Paris’ une irrévérence et une liberté supplémentaire, permise par l’usage de la prose. Tantôt par la fable, tantôt par la parabole il cherche dans ce recueil à livrer de la vie moderne, urbaine, grise et vilaine, la même peinture que celle qu’il avait produite de la vie ancienne à travers la sensibilité à la laideur, au mal et à l’imperfection qui est la sienne. « Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l’âme, qui se donne toute entière, poésie et charité, à l’imprévu qui se montre, à l’inconnu qui passe. »