Installés en Algérie bien avant la présence française, les Elkaim sont naturalisés français par décret en 1870, comme tous les Juifs du territoire. Ecartelés entre Occident et Orient pendant la guerre d’Algérie, les grands-parents de l’auteur sont finalement forcés de fuir et de rejoindre la cohorte des pieds-noirs si mal accueillie en France. Ce n’est que bien plus tard, après leur décès, qu’Olivia Elkaim est amenée à reconstituer leur parcours, prenant alors conscience de l’ampleur de leur drame, au fur et à mesure que l’hostilité et la misère venaient verser du sel sur les blessures de leur déracinement.


Une grande émotion imprègne les pages de ce récit qui se lit comme un roman. Ne s’étant intéressée que tardivement à son histoire familiale, l’auteur réalise avec regret combien longtemps elle est restée indifférente aux cicatrices dont était cousu le coeur de ses grands-parents. Au-delà de la cruauté de leur drame, c’est l’impuissance d’une tendresse qui ne trouve à s’exprimer que trop tard pour être partagée avec ses destinataires qui rend le texte si poignant. Alors, à son tour, le lecteur se sent saisi par l’envie de serrer sur son coeur ce couple qui reprend vie sous la plume puissamment évocatrice d’Olivia Elkaim.


L’on se retrouve ainsi plongé dans les couleurs et les odeurs d’une Algérie à laquelle Marcel et Viviane s’accrochent désespérément, comme à un navire en train de couler. Ils sont bientôt jetés dans le flux d’un exode dont ils ne se doutent pas encore, ni qu’il sera sans retour, ni qu’ils y perdront, non seulement leurs possessions, y compris les plus sentimentales, mais aussi leur dignité et leur identité. Indésirables de part et d’autre de la Méditerranée, marqués malgré eux de l’injuste sceau d’une infamie et d’une traîtrise dont le sentiment prévaut dans l’opinion publique, le couple et ses enfants vont bientôt découvrir que le pire reste à venir. Contraints à des conditions de vie effroyables, ils finiront à force de courage par se faire un chemin, mais resteront bafoués pendant des décennies par une administration française sourde et aveugle. Quels plus grands symboles de leur souffrance que cette clef soigneusement conservée qui n’ouvrira jamais plus aucune porte, et que ce souvenir d’un modeste cimetière aux tombes désormais vouées à l’oubli et à l’abandon ?


Avec la troisième génération aujourd’hui, une page se tourne : en pleine réappropriation d’un passé qu’elle avait longtemps rejeté, la narratrice se découvre enfin capable d’empathie pour l’amertume et la mélancolie de ses grands-parents. Maintenant que les témoins directs ont disparus, ce livre est l’occasion d’une réconciliation avec des origines qu’elle se déclare prête à ne plus oublier, en même temps qu’un nécessaire témoignage et un émouvant hommage. C’est la gorge serrée et les cils humides qu’on en achève la lecture. Coup de coeur.


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Cannetille
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le 18 mars 2021

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