Historiette écrite par Henri James, à la fois nouvelle longue et court roman, le Tour d'écrou est avant tout un récit emblématique qui puise dans le fantastique et l'horrifique à l'époque de l'Angleterre victorienne. Sa principale particularité réside dans l'apparition de l'archétype de l'enfant angélique en apparence, possiblement maléfique d'après les impressions données par un narrateur adulte, ici leur propre préceptrice. Celle-ci, chargée par son employeur de s'occuper de ses neveux sans le déranger sous aucun prétexte se retrouve seule face à des forces maléfiques qui la dépassent. Le lecteur lit ainsi les faits relatés tels que les a vécus l'institutrice sous la forme d'un manuscrit enfermé à clé dans un tiroir, ouvert par un jeune homme qui en fait part à une assemblée friande d'histoires effrayantes.
Les caractéristiques d'un récit fantastique sont parfaitement respectées dans Le Tour d'écrou. Jusqu'au bout des cent-cinquante pages, le lecteur ne saura dire même en échafaudant les hypothèses les plus tortueuses si l'institutrice a effectivement aperçu des fantômes aux desseins machiavéliques, ou si tout n'était que le fruit de son imagination stimulée par un lieu et des circonstances assez uniques au regard de son ancien vécu dans le dénuement anglican. Seules les maigres informations à disposition du lecteur qui font état d'une mort relativement mystérieuse dans sa trentaine permettent de supposer que la tonalité anormale des évènements penche dans la balance vers l'absence de folie humaine.
A moins d'une grande disposition à l'effroi, Le Tour d'écrou paraîtra peu spectaculaire : pas de sang, pas de cadavres éventrés, pas d'incantations, pas de fantômes hurlants à la force démentielle. Beaucoup de films et autres livres sont passés derrière en étant plus incisifs sur l'horreur notamment. Néanmoins, le récit a extrêmement mal vieilli, tant dans son style que dans la façon dont il est mené : les pudibonderies singées par l'institutrice sont telles qu'elle n'ose presque jamais rentrer en confrontation avec ses petits protégés, ce qui de façon très pratique nous empêche d'obtenir le fin mot de l'histoire. Connaître ses émois, ses peines et ses hésitations reste intéressant. Mais Henry James a jugé utile de reproduire les mécanismes mentaux de la narratrice sur la moitié du livre, quand l'histoire personnelle de chacun des fantômes venus tourmenter le petit comité passe rapidement à la trappe, pour nous apprendre seulement qu'ils auraient eu une histoire d'amour, alors que leurs rangs respectifs dans la société étaient différents. Quel scandale, tellement conséquent que tout ce qui aurait pu faire le sel du récit vire à l'eau croupie. Ainsi, des longueurs interminables viennent entacher le tout, alors que paradoxalement la durée de vie du livre est assez courte.
Reste l'idée mythique des enfants tourmenteurs, réutilisée, usée jusqu'à la moelle dans des adaptations plus ou moins fidèles au Tour d'écrou, et autres films d'horreur tournés pour faire frémir dans les chaumières.