Le premier mérite du Tour du monde du roi Zibeline est de redonner vie à Auguste Benjowski, bien oublié aujourd'hui. Dire que sa vie fut aventureuse est un euphémisme, de la Hongrie à Madagascar en passant par la Sibérie et Macao. Une existence que la plume alerte de Jean-Christophe Rufin transforme en épopée, en saisissant l'esprit d'une époque, un XVIIIe siècle qui aborde sa dernière partie, quittant le temps des Lumières pour aborder une période plus agitée. C'est aussi ce moment charnière où les explorations, avec tout ce qu'elles suggèrent de romantisme, vont céder leur place aux conquêtes, ce désir de colonisation qui va opposer les plus grandes puissances. La construction du livre, elle-même, correspond à ce changement d'attitude avec en guise de témoins un Benjamin Franklin vieillissant dont les valeurs appartiennent déjà au passé face à un Thomas Jefferson, moins idéaliste. Les deux narrateurs du roman sont précisément les héros de cette aventure et, outre les péripéties qu'ils traversent, contées avec le talent habituel de l'auteur, leurs différences, notamment vis-à-vis des peuples qu'ils rencontrent, rendent leur histoire d'amour exempt de mièvrerie. Le portrait d'Aphanasie, en particulier, tel qu'il apparait quand elle prend le récit à son compte, est celui d'une femme libre, amoureuse certes, mais lectrice de Diderot et plus moderne en somme que son compagnon, elle qui a dans le couple une influence majeure et humaniste. Le tour du monde du roi Zibeline, d'une lecture très agréable, est évidemment autant un récit historique qu'un ouvrage très personnel de Rufin où l'auteur exprime ses croyances et ses doutes dans l'humanité.