Ma fille de 9 ans avait une fiche de lecture à faire. Motivée, elle choisit "Le tour du monde en 80 jours" de Jules Verne. Mais les vacances de fin d'année ne durent que 15 jours dont la moitié se passe chez son papa, oubliant incidemment le livre chez maman. Et l'essentiel des vacances est englouti dans l'ouverture et la découverte des cadeaux qui ont plu sur sa tête de chérubin gâté... Et le livre reste ouvert à la page 59 pendant de longues, très longues journées....


Il a fallu changer de stratégie pour que les presque 300 pages soient lues avant le gong de la rentrée. Me voilà à faire de la lecture à 2 voix tous les soirs jusqu'à hier. Ma fille lisant 2 ou 3 chapitres à voix haute et moi reprenant pour 5 ou 6 chapitres la suite des aventures de Fogg et Passepartout.


Je l'avais lu enfant, découvrant avec délice la redoutable efficacité narrative des auteurs feuilletonistes du 19è siècle. Que me restait-il des "Voyages extraordinaires" de Jules Verne ? : la puissance descriptive, le dépouillement stylistique, l'efficacité dramaturgique ainsi que l'intégrité de cet auteur qui n'hésite pas à faire un véritable travail de recherche documentaire.


Ici tout y est. Simplicité et efficacité. L'art du cliffhanger (rebondissement) clôturant chacun des chapitres courts tenant avec justesse l'équilibre entre ce qu'il faut d'avancée dramaturgique et de descriptions instructives. Les personnages qui font figures de héros sont sculptés sur les modèles antiques : Phileas Fogg est bien fait de sa personne et riche et on en apprendra guère plus sur lui, Mrs Aouda est jeune, belle et veuve, juste ce qu'il faut, pour laisser le romanesque l'emporter dans cette improbable aventure.


Le dépouillement de ces caractères en fait des figures presque mythologiques. A l'image des demis-dieux de l'antiquité ce couple improbable fait d'une homme froid et imperturbable et d'une jeune femme brûlant (comme le brasier auquel elle échappe) de reconnaissance suffit à lui-même. Jules Verne à la plume déjà bien aguerri pour ce 13e roman connait son affaire. Nul besoin de broder d'inutiles tergiversations romantiques pour "raconter" ce qui, chez ce pragmatique, se vit avant de se dire.


Et tout autour de ce couple (qui en rame pas une, car le héros par définition doit en faire le moins possible : Homère l'a inventé et Verne le confirme) gravitent deux personnages qui vont tracter à proprement parler l'histoire : Jean Passepartout et l'inspecteur Fix. Retards, empêchements et rebondissements multiples vont être le fait de ces deux personnages qui occupent utilement l'avant de la scène. Cet archétype du second rôle porteur de l'action est encore d'usage dans les fictions actuelles avec plus ou moins de réussite.


Mais Jules Verne connait son affaire et les vrais héros de son écriture sont en réalité ailleurs : la mer, le vent, la montagne, la jungle, les trains, les paquebots, les éléphants... Le décor ? : ce sont les hommes et leurs usages dont l'absurdité fait dissonance avec la nature qu'ils défient. Et pour cela il donne la quantité juste d'informations, ayant érigé l'art de l'économie à son dernier degré, il n'est pas l'auteur de la métaphore ou de la stylisation. Son écrit est brut et sans fioritures inutiles.


Il écrit pour tenir son lectorat en haleine et pour faire avancer ses personnages. Epique avant tout, ce tour du monde en 80 jours est aussi scientifique et pédagogique. Besoin d'étoffer votre vocabulaire géographique, ferroviaire ou maritime ? Ouvrez ce livre à n'importe quelle page pour piocher un terme au hasard.


Inscrit dans un ensemble d'une soixantaine d'ouvrage, ce "Tour du monde en 80 jours" est l'une des plus palpitante escale des "Voyages extraordinaires". Véritable fresque scientifique, géographique et d'anticipation; les voyages extraordinaires de Jules Verne restent, encore en ce début de 21è siècle, un modèle d'écriture romanesque moderne.


Divertissant, instructif et palpitant, ma fille a bondit, rit et crié de joie ou de peur à plusieurs reprises. Il n'en fallait pas plus pour que sa joie de jeune lectrice ne déteigne sur moi. Même si je l'avais déjà lu et que j'en gardais en mémoire les grandes lignes, il m'a semblé le redécouvrir en même temps que je redécouvrais pourquoi ce livre, 30 ans plus tard trônait encore dans ma bibliothèque.


Jules Verne n'est pas un auteur pour enfant, il transforme tout ceux qui le lisent en enfants. Et voilà pourquoi, grâce à lui, j'ai à nouveau dix ans et je suis convaincu que quelque part sur Terre, un bateau lancé à toute vapeur fend les eaux d'une mer démontée et luttant contre des vents contraires, transporte sur son pont un homme qui n'a d'autre but dans la vie que de tenir sa parole. Et cette pensée me réconcilie avec les bateaux, les tempêtes, les océans et les hommes... ou presque !

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le 3 janv. 2016

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