On peut se demander en amont à la lecture du Tramway, dernier récit publié du vivant de l'immense Claude Simon, d'à quel point ce court ouvrage de 120 pages consistera en un simple addenda à un pan de carrière littéraire autobiographique riche dont L'Acacia formait un point d'orgue de perfection ou de si l'ouvrage aura quelque chose d'intègre à proposer comme cerise sur le gâteau d'une entreprise jusqu'auboutiste de l'analyse du soi.
C'était le doute que j'avais personnellement depuis les quelques cinq ou six ans que le bouqin traînait dans mes cartons, et j'avais bien évidemment tort.
Sur le papier, le Tramway a pourtant l'air de loin de n'avoir pas grand chose à rajouter au mythe familial que l'auteur a largement placé sous sa loupe au fil de ses précédents récits de vie : on retrouve par exemple la figure récurrente de la mère (mais saisie ici non pas dans sa quête du cadavre ou dans sa jeunesse coloniale mais bien aux portes de la mort) et ses ambiguïtés, une narration par les images chère à l'auteur fasciné ailleurs par des boîtes de cirage ou des portraits usés, un entremêlement constant du surgissement des souvenirs ou une approche cruelle et vraie en même temps de la corporalité usée et de ce qu'elle révèle.
Toutefois, rarement dans l’œuvre de l'auteur il n'aura été aussi loin dans sa manière de conjuguer au service d'un propos éminemment plus politique qu'il ne pourrait le sembler les entreprises proustienne et balzacienne. L'obsession rageuse d'une micro-analyse par l'objet permet à Claude Simon de bien montrer tout ce que cette petite bourgeoisie singeant de vieilles aristocraties perdues, installée au milieu des coteaux de méprisables nouveaux riches de Perpignan, a de pourri dans sa manière de mépriser et de mourir en s'asséchant sous le soleil.
Il s'agit ici de tuer la mère et de se tuer un peu soi à travers ; mais il paraît douteux que cette horrible fin de race avilie et dégénérée d'une bourgeoisie coloniale empire mérite guère mieux, du moins aux yeux de l'auteur dont la violence affleure tout le temps sous l'apparent scalpel propre de la description.
Rien n'est si violent qu'un inventaire ou la propreté insultante d'un lit d'hôpital. Au milieu de ça, peut-être que la caisse de bois rayée du vieux tramway conservera un peu de l'innocence de l'enfant ; mais la trajectoire de la vie qu'il métaphorise est, elle, bien rectiligne et sans possibilité de prendre le billet de retour.
Crevez-les.
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Peut-être demeure-t-il tout de même préférable avant de s'attaquer au Tramway d'au moins parcourir l'Acacia dont, malgré sa grande qualité, il apparaîtra tout de même quelque peu comme un chapitre bonus sous certains aspects.
Mais Claude Simon est de toute façon à lire, ne serait-ce que pour rappeler aux passéistes casse-couilles qu'une œuvre aussi ambitieuse et à l'ancienne que celle-là pouvait encore paraître en 2001.