Lorsqu'il s'agit de commenter la bibliographie de Jack London, on pointera le plus souvent Martin Eden comme le roman le plus proche de ce qu'était cet auteur : un marin, un travailleur qui, à contre-courant de la place qui lui a été accordée dans la société, va faire fructifier sa culture, et enfin un écrivain. Et pourtant, je persiste à penser que le livre qui est le plus à son image serait Le Vagabond des Etoiles.
L'écrivain ici, c'est Darrell Standing, un professeur en agronomie condamné, à perpétuité pour avoir tué un collègue et à mort pour avoir cassé le nez d'un gardien. Avant de se diriger vers la potence, il laisse à la postérité quelques pages où il relate sa rude vie au sein du monde carcéral et, ce qui constituera 80% du livre, ses expériences spirituelles qui lui font revivre ses diverses vies antérieures.
Le London de l'imaginaire se livre ici à des aventures au grand air, loin des quatre murs qui gardent captif Standing. Celui-ci redevient un noble du XVIIe siècle, Ragnar Lothbrog sous le commandement de Pilate (oui, London aussi faisait de la fanfiction, il ne faut pas croire), un jeune garçon accompagnant sa famille émigrant vers l'Ouest. Mais sa connaissance de la mer donnera lieu également à des réminiscences d'expéditions et d'aventures captivantes, mettant les capacités de survie des personnages incarnés à rude épreuve. Fidèle à sa réputation, l'auteur américain est dépaysant, chose inattendue dans un roman politique.
Parce que Le Vagabond des Etoiles, c'est une dénonciation sans concession du milieu carcéral et des violences qu'on y fait subir aux prisonniers. Emprisonné pour vagabondage, London avait pu assister lui-même aux horreurs orchestrées par des monstres qu'on appelle encore hommes car ils sont du bon côté des barreaux. Le socialiste qu'il était ne pouvait pas taire ce qu'il avait vu. Et il ne s'est pas gêné : le récit est édifiant et dérangeant. London, à travers Standing, interpelle le lecteur, le rendant complice des tortures que fait subir le directeur Atherton et le poussant à réfléchir sur ce qui fait au final la différence entre les prisonniers et leurs geôliers.
Au final, Le Vagabond des Etoiles est un excellent panorama de l'écriture et de la personnalité de London : l'aventurier intarissable aux mille et une histoires s'allie avec le socialiste aux positions bien affirmées. Même si les dernières pages gâtent un peu ce roman (les remarques sur les femmes sont particulièrement lourdes), il en reste une œuvre fascinante et horrifiante, qui fait tout autant rêver et réfléchir. Une oeuvre, en un mot, spirituelle.