Grace à ce livre, Tagore se range désormais pour moi à côté de Jacobsen, Andreev, Poe ou encore Chesterton – tiens donc, je ne peux penser a aucun écrivain français… -, soit près de ces auteurs qui savent dire quelque chose en un récit court, voire très court. Atteindre ce résultat exige d’approcher son sujet avec humilité, modestie et souci de la nuance, qualités qui imprègnent chaque ligne de ce recueil. Ici, pas de porte-drapeau, pas d’épouvantail, les aspirations des personnages restent d’ailleurs pour la plupart impénétrables, sans être pour autant secrètes, mais de même que dans la vie il nous arrive de rencontrer des êtres que nous ne verrons que quelques heures ou quelques jours, face auxquels notre désir de jugement, aussi puissant soit-il sur notre raison, ne saurait nous imposer une conclusion définitive, ici quelques pages de la vie d’un étrange et beau vagabond brahmane, d’un juriste de village ou encore d’une amoureuse abandonnée ne nous laissent le droit que de mesurer la profondeur du mystère des âmes, sans y pénétrer. Reste à notre faculté de juger ce qui est peut-être son objet même – c’est bien aussi, si je ne m’abuse, ce que suggère Kant : la beauté pure et simple du récit.