On insiste souvent sur la morale que ce premier livre de la trilogie Nos Ancêtres est censé illustrer. Vicomte pourfendu en deux moitiés, l’une bonne, l’autre mauvaise... Cette dernière trucide, terrorise tout le monde presque sans y penser, froidement : c’est sa nature. Il est à l’aise dans cette histoire racontée avec une sorte d’ironie pince-sans-rire, on y énumère les horreurs et les étrangetés comme si tout cela avait au fond quelque chose de normal. Quant au bon, il est un idiot, mais un idiot aussi intéressé que peut l’être parfois le premier. Comme Mychkine et Rogojine, l'un n'est pas tout à fait l'exacte opposé de l'autre, ce sont plutôt deux rivaux, ce qui tendrait à les rendre plus humains. Mais Italo Calvino lui-même a l’air de beaucoup insister sur ce que cette dualité produit : que l’un est un faux bon et l’autre n’étant qu’un triste sire incomplet. Mieux vaut la complétude, l’ambivalence, que deux moitié d’être capables d’agir ou de « penser » selon un seul axe. Le bien ou le mal.
Je trouvais cette morale secondaire. Je préférais m’intéresser au cheminement de Calvino pour y arriver. C’est-à-dire les images qui émaillent le récit. Des choses et des êtres découpées (non seulement le vicomte) des personnages perplexes, pour ne pas dire partagés. Le parcours souvent interrompu de ce jeune narrateur discret (le neveu du vicomte) faisant son propre chemin accompagné d’un médecin qui tarde à trouver sa vocation :
Il était resté à Terralba, était devenu notre médecin, mais au lieu de s’occuper de ses malades, il s’inquiétait de ses découvertes scientifiques qui le conduisaient à faire ses tours ― et moi avec lui ― par les champs et par les bois jour et nuit. D’abord une maladie des grillons, maladie imperceptible dont ne souffrait qu’un grillon sur mille, et encore sans la moindre conséquence ; et le docteur Trelawney voulait les chercher tous et trouver le bon traitement. Ensuite la recherche des signes de l’ère où nos terres étaient recouvertes par la mer ; et nous allions chargés de cailloux et de silex dont le docteur disait qu’ils avaient été, à leur époque, des poissons.
L’intrigue n’a rien de complexe, il y a peu de péripéties de sorte que le récit donne l’impression de faire du surplace. Pas de problème : C’est que la résolution finale, si elle nous semble aller de soi, il faut cependant attendre que les personnages se décident à la chercher pour la trouver. En attendant, on les voit s’agiter, et blablater ; mais c’est là-dessus que je trouve Calvino aurait pu développer, s’attarder encore plus dans d’autres directions afin de diversifier les pistes de ce court roman. Au lieu de quoi, on arrive bien trop sûrement et vitement à la fin.
Lu du 27 au 30 septembre 2020. Traduit de l'italien par Martin Rueff. 131 pages – Folio